A Sick Democracy

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« Ce sera une élection truquée », a dit en fin de semaine le candidat républicain, Donald Trump, au sujet du scrutin présidentiel qui aura lieu dans 22 jours aux États-Unis.

Même s’il vit dans un univers parallèle, où les faits et la vérité importent peu, le clown de New York doit maintenant se douter qu’il ne sera pas élu président le 8 novembre, et qu’il perdra contre Hillary Clinton. Alors, tel un grand enfant contrarié, il invoque la tricherie, un complot mondialisé contre lui, les puissances de l’argent, une presse acquise à ses adversaires et même des manipulations dans les procédures de vote.

Si l’on suit bien M. Trump, le 8 novembre prochain, les bulletins ne seront pas correctement comptés, ce qui transformera (selon lui) une perdante en gagnante. Cette accusation fantaisiste est le produit d’un esprit malade, pour qui la défaite contre une femme serait une humiliation, et qui a décidé de casser la baraque s’il n’obtient pas ce qu’il désire.

La démocratie a beau se trouver dans un piteux état aux États-Unis, avec une mécanique électorale — du début des élections primaires jusqu’au jour de la présidentielle — devenue un assemblage baroque, dépassé et chambranlant, on veut croire qu’elle peut encore compter correctement les votes, le jour de la présidentielle.

(Mais on pourrait ajouter : à condition que ça ne soit pas trop serré ! Parce que… les souvenirs amers de la Floride en 2000, et même de l’Ohio en 2004, laissent quand même place à quelques doutes.)

On a beau constater que Mme Clinton incarne l’establishment, traîne quelques casseroles bien à elle et inspire des sentiments négatifs à une majorité d’électeurs, ce n’est absolument rien à côté du vaudeville délirant, du mépris total de toutes les règles, que l’on a vu en face depuis 16 mois. En conséquence de quoi, son élection à la présidence devrait s’imposer d’elle-même… par défaut, si ce n’est pour des raisons positives.

Tout au long de sa chevauchée fantastique, entreprise à New York en juin 2015, Donald Trump a fait sans cesse reculer les limites du possible, du concevable, de la décence la plus élémentaire.

On a dit qu’il tomberait au début des primaires, lorsque la « vraie politique » rétablirait ses droits. Puis au milieu des primaires, lorsque les « clowns » se verraient enfin éliminés du peloton. Après ses invraisemblables outrances contre les immigrants, contre les Latinos, contre les handicapés… bien sûr que tout cela devait s’effondrer incessamment.

Mais on a finalement dû se rendre à l’évidence : oui, cet homme qui avait piétiné toutes les règles s’apprêtait vraiment à remporter l’investiture du Parti républicain.

Chevauchant et récupérant — lui, le milliardaire exploiteur — la rébellion (tout à fait réelle) de nombreux Américains de modeste condition contre l’establishment, dénonçant le pouvoir de médias « acquis à l’ordre établi » (ce qui certes peut se discuter), mettant en avant des positions protectionnistes (comme le font d’ailleurs les démocrates), cet histrion fat, ignorant, fraudeur, misogyne et violent en est venu à représenter quelque chose d’important, voire d’authentique — même si cela s’est accompagné, on le voit bien aujourd’hui, d’une certaine décomposition de l’ordre démocratique.

On se rassurera peut-être en constatant que non, finalement, l’obscène ne passera pas l’ultime épreuve : l’élection générale de novembre. En découvrant que le type était aussi un harceleur de femmes, peut-être même un violeur, devant la découverte de ces enregistrements accablants, on se dit : enfin, ça y est, il va tomber. D’où la furie destructrice de ses ultimes vitupérations, y compris contre son propre parti. D’où cette mobilisation des femmes, du vote féminin en fin de course, qui a suivi la diffusion, il y a dix jours, des éructations pornographiques et misogynes du personnage, enregistrées dans un autocar.

Ce qui reste absolument extraordinaire, c’est qu’une telle candidature puisse aller chercher — ce qui devrait être le cas, le 8 novembre prochain — quelque chose comme 50 millions de voix, ou 40 % des suffrages exprimés. Plus encore : Donald Trump décrochera probablement — après tout ça ! — une majorité absolue des suffrages exprimés par le corps électoral masculin… et il faudra donc le vote féminin pour renverser la vapeur et faire passer Hillary !

Ce qui est proprement ahurissant, en 2016, pour un pays qui aime tellement à se donner en exemple démocratique au reste du monde.

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