Une réforme fiscale qui accroît dramatiquement la fracture sociale de l’Amérique
OPINION. La prétendue réforme fiscale adoptée mercredi par le Congrès et prônée par Donald Trump risque de répéter des épisodes connus de l’histoire américaine: celui des allégements fiscaux massifs opérés sous Ronald Reagan qui ont poussé la Maison-Blanche, un an plus tard, à accepter des hausses d’impôts
En soi, les baisses fiscales n’ont rien de honteux. Que les Etats-Unis de Trump décident de baisser la fiscalité des entreprises et des contribuables participent des différences idéologiques qui s’expriment dans le cadre démocratique. Elles peuvent d’ailleurs avoir toute leur légitimité.
Le Tax Cuts and Jobs Act que le Congrès a passé mercredi n’a toutefois rien d’une loi normale. Elaborée en catimini, sans consulter l’opposition démocrate, elle rend sans doute le pire service à un pays où les inégalités ont explosé depuis que Ronald Reagan a décidé, dans les années 1980, de s’en prendre aux Welfare Queens et aux programmes sociaux hérités de la Great Society de Lyndon Johnson.
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Entre la vibrionnante Silicon Valley et l’extrême pauvreté de certains coins de l’Alabama, les Etats-Unis sont à la pointe de la globalisation et n’ont parfois rien à envier à un pays en voie de développement. La réforme fiscale n’est pas conçue pour venir en aide à la classe moyenne, comme le clament le président de la Chambre des représentants, Paul Ryan, ou Donald Trump. Elle va surtout accroître de façon dramatique la fracture sociale de l’Amérique.
Loi des petits copains
Les électeurs aux revenus modestes et en quête d’emploi qui ont voulu voir en Donald Trump un sauveur en ont pour leur compte. Le président américain et ses compères du Congrès ont élaboré une loi fiscale qui bénéficie avant tout aux donateurs et aux riches contributeurs du Parti républicain. Et elle a surtout servi les intérêts des congressistes et du président lui-même. A l’exemple de Bob Corker, un sénateur décrit parfois comme étant le reste de raison au sein du Grand Vieux Parti. Le républicain du Tennessee a manifesté son opposition à la réforme jusqu’à peu. Pour lui, «faucon budgétaire», celle-ci posait un risque majeur pour les Etats-Unis, en alourdissant encore davantage une dette astronomique de 20 000 milliards de dollars.
Mais, quelques jours avant le vote, il a retourné sa veste. Motif non avoué: le Congrès venait d’introduire une nouvelle clause octroyant des allégements fiscaux pour les gains immobiliers dont Bob Corker vit. Résultat: il paiera environ 1,2 million d’impôts en moins. Quant à Donald Trump, voire son gendre Jared Kushner, très actifs auparavant dans l’immobilier, ils devraient aussi grandement en profiter. On comprend pourquoi le président américain refuse toujours de publier, comme tous ses prédécesseurs, sa déclaration d’impôt.
Ploutocratie
Comme le souligne le journaliste Ezra Klein, de Vox, Donald Trump et les républicains ont trahi le peuple américain en ne concrétisant pas le message populiste de la campagne électorale visant à venir en aide aux laissés-pour-compte de la globalisation et de l’automatisation. Ils sont en passe de faire de l’Amérique une ploutocratie. Si les programmes sociaux que sont Medicare (assurance maladie étatique pour les plus de 65 ans), Medicaid (assurance maladie pour les plus démunis) et Social Security (retraites) nécessitent des réformes pour qu’ils restent sur une trajectoire durable, la réforme de Trump et des républicains est une attaque en règle contre l’Etat, pourtant faible outre-Atlantique.
Avec sa ministre de l’Education Betsy Vos, Donald Trump est en train de démanteler une école publique américaine déjà en grande difficulté. Il sape ainsi ce qui est le garant d’une économie prospère à l’avenir: des gens qualifiés prêts à s’adapter au monde exigeant du travail de ce XXIe siècle. Il le fait déjà avec les scientifiques, dont ils coupent les ressources ou qu’ils congédient quand ils œuvrent à combattre le changement climatique au sein de l’Agence fédérale de protection de l’environnement (EPA). Son mantra, c’est maintenir, voire renforcer l’armée la plus puissante du monde.
Code fiscal arbitraire
Quand le président américain parle de «plus grande réforme de l’histoire», il commet un mensonge aux effets durables: il n’est pas question de réforme, mais de hold-up dont est victime la classe moyenne américaine qui ne cesse de rétrécir. La trickle-down economics, l’économie de l’offre, n’a pas les effets mécaniques sur la croissance que prédisent les républicains. Le Code fiscal américain a pourtant un urgent besoin d’être révisé, tant il est incompréhensible et arbitraire. Il y a quelques années, le milliardaire Warren Buffett en avait montré l’absurdité, en relevant qu’il payait moins d’impôts que sa secrétaire. Mais la loi adoptée au Congrès et promulguée sans doute mercredi prochain par la Maison-Blanche ne réforme rien du tout. Elle ne fait que polariser davantage un pays déjà coupé en deux.
Le moment choisi pour cette offensive fiscale est aussi inopportun. En 2009, les républicains avaient fait des pieds et des mains pour refuser à Barack Obama un plan de relance de 1000 milliards de dollars. Le plan adopté se limitait à 800 milliards. Or, l’Amérique traversait la pire crise économique et financière depuis les années 1930. Un tel plan avait tout son sens.
Peu de marge de manœuvre pour la Fed
En 2017, l’économie américaine se porte relativement bien avec un quasi-plein-emploi (4,2% de chômage) et une croissance soutenue. L’effet du Tax Cuts and Jobs Act sur la croissance pourrait être marginal au vu de l’impact massif qu’il risque d’avoir sur la dette. La Réserve fédérale devra peut-être même tempérer la surchauffe éventuelle. Un comble. Or, en cas de nouvelle récession, l’Amérique sera encore moins bien préparée. En raison de taux d’intérêt extrêmement bas depuis plusieurs années maintenant, la marge de manœuvre de la Fed sera limitée. Avec une dette encore plus élevée, elle va se restreindre davantage.
Si les prévisions de croissance des républicains ne se vérifient pas et que la dette explose, ils peuvent s’attendre à une tâche herculéenne: celle de convaincre les Américains qu’il faudra augmenter les impôts et réduire les dépenses. Une tâche à laquelle avait dû déjà se résoudre Ronald Reagan en 1982, un an après avoir poussé à des allégements fiscaux massifs qui allaient «s’autofinancer»…
Enfin la réforme fiscale, qui autorise par ailleurs les forages pétroliers en territoires protégés en Alaska, contient un autre aspect qui pourrait placer les républicains dans une situation pour le moins compliquée. Comme l’a martelé Donald Trump mercredi, elle abroge l’obligation de contracter une assurance-maladie prévue dans Obamacare. Or la couverture médicale introduite sous la présidence Obama est désormais très populaire. En abrogeant cette obligation (individual mandate), elle va priver quelque 13 millions d’Américains d’assurance-maladie. Elle va surtout faire en sorte que les problèmes à venir, comme l’explosion des primes maladies, ne seront plus de la responsabilité des démocrates, mais des républicains et de la Maison-Blanche. Les élections de mi-mandat de novembre 2018 pourraient rebattre les cartes.
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