Mark Zuckerberg : le chant du cygne
Nul n’a bronché lorsque Facebook fit, en 2012, l’acquisition d’Instagram ou celle de Whatsapp en 2014, alors qu’il coulait de source que de telles emplettes faisaient partie d’un plan global et réfléchi consistant à asseoir un pouvoir monopolistique et à détruire toute velléité de compétition. Par Michel Santi, économiste (*).
Fondateur et président du conseil d’administration de Facebook, Mark Zuckerberg contrôle également la majorité des actions de cette société. Son pouvoir est donc absolu, et il ne peut être réprimandé, encore moins renvoyé, car toute tentative en ce sens de la part de son conseil d’administration serait contrecarrée par le veto de la majorité des actions dont il bénéficie qui remplacerait aussitôt les troubles-fêtes par des administrateurs plus conciliants.
Ceci étant dit, il est fort peu probable qu’une rébellion ou, à tout le moins, qu’une contestation éventuelle émane d’administrateurs payés 350.000 dollars par an, voire bien plus s’ils sont salariés de l’entreprise. Zuckerberg est donc tout puissant, nettement plus que n’importe quel autre « CEO » d’une autre société cotée qui assumerait pour sa part ses responsabilités face à un conseil d’administration indépendant susceptible en outre de nommer des dirigeants n’ayant des comptes à rendre qu’à lui et qu’aux actionnaires.
Asseoir un pouvoir sans partage, annihiler toute concurrence
Dans sa gestion de Facebook, Zuckerberg s’est intégralement axé à faire prospérer son « business model » basé sur la publicité, faisant fi de toute autre considération, voire, la foulant aux pieds. Les résultats sont, il est vrai, éloquents puisque Facebook contrôle (avec Google) près de 85% de toute la publicité mondiale en ligne, avec des revenus en hausse de 50% en 2017 par rapport à l’année précédente. C’est néanmoins cet essor et ce pouvoir sans partage qui confèrent à Mark Zuckerberg toute sa dangerosité car Facebook est sur le point de détenir autant de données que n’importe quel autre Etat dans le monde ! Nul n’a bronché lorsque Facebook fit en 2012 l’acquisition d’Instagram (pour 1 milliard de dollars) ou celle de Whatsapp en 2014 (pour 19 milliards), alors qu’il coulait de source que de telles emplettes faisaient partie d’un plan global et réfléchi consistant à asseoir un pouvoir monopolistique, tout en cassant les reins à toute velléité de compétition.
Plus de 50% des actionnaires souhaiterent le départ de Zuckerberg
Sorti du strict cadre de son business model consistant à faire prospérer son entreprise grâce aux recettes publicitaires, Mark Zuckerberg cumule cependant les erreurs de gouvernance, qu’il n’a du reste aucun mal à admettre lui-même. De sa responsabilité dans la crise Cambridge Analytica à sa négligence caractérisée face aux interférences russes dans plusieurs élections occidentales ayant utilisé Facebook comme plateforme, en passant par son manque d’égard et de respect face à la vie privée et aux données confidentielles dévoilées et mises à disposition par ses utilisateurs. Zuckerberg perd désormais pieds sur un autre terrain – celui de son actionnariat – auprès duquel il a perdu une bonne part de sa crédibilité.
Un récent sondage du Business Insider révèle en effet que plus de la moitié des actionnaires de Facebook (indépendants de Mark Zuckerberg) estiment qu’il devrait être limogé du conseil d’administration, tandis que 83% d’entre eux plaident vigoureusement pour des modifications structurelles en profondeur qui aboliraient son contrôle absolu sur Facebook.
Le temps des changements majeurs semble arrivé
Cette contestation de son actionnariat est à prendre très au sérieux, et ce, d’autant plus que la performance spectaculaire de l’action Facebook en Bourse (lancée à 38 dollars USD en 2012 et qui en vaut aujourd’hui près de 200) fut spectaculaire et que le succès de l’entreprise – qui compte actuellement 2 milliards d’utilisateurs – est incontestablement planétaire.
Effectivement, les actionnaires d’une société sont généralement passifs et optent plutôt pour vendre leurs actions quand ils sont en désaccord avec la conduite des affaires de la direction plutôt que de se liguer contre elle ou contre son conseil d’administration. Un désaveu de Zuckerberg d’une telle ampleur de la part de ses actionnaires a donc tout lieu d’être inquiétant pour son avenir, car il est traditionnellement très difficile de fédérer plus de 20% à 30% des actionnaires contre une direction générale d’une société cotée.
Le temps des changements majeurs semble donc arrivé pour Facebook et pour Mark Zuckerberg qui, au minimum, verra prochainement ses pouvoirs largement remis en question – et, à terme, dûment soumis à contrôle – dans l’entreprise qu’il a créée.
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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d’Art Trading & Finance.
Il est également l’auteur de : “Splendeurs et misères du libéralisme”, “Capitalism without conscience”, “L’Europe, chroniques d’un fiasco économique et politique”, “Misère et opulence”. Son dernier ouvrage : “Pour un capitalisme entre adultes consentants”, préface de Philippe Bilger.
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