La peine de mort en sursis en Californie ?
En Californie, le gouverneur Gavin Newsom fait le pari qu’un moratoire conduira à l’abolition de la peine de mort.
Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, aime agir en précurseur. Maire de San Francisco, il avait, dès 2004, célébré des mariages homosexuels. Aujourd’hui, il annonce un moratoire sur les exécutions en Californie jusqu’en 2023. Tandis que le président Trump proclame régulièrement «l’utilité» de la peine de mort, tandis que les Etats du Sud comme le Texas, la Floride ou la Géorgie continue à exécuter régulièrement, Newsom choisit d’imiter ses homologues de Pennsylvanie, de Washington ou de l’Oregon en décrétant un moratoire. C’est une décision historique dans l’Etat le plus peuplé des Etats-Unis. La Californie retient près de 740 condamnés à mort, un record national, et a connu des débats féroces autour de la peine de mort depuis plus d’un demi-siècle.
En Californie, le gouverneur est directement impliqué dans le fonctionnement de la peine de mort par l’exercice du droit de grâce. Quand un condamné a épuisé tous ses recours, ses avocats se tournent vers la tête de l’exécutif pour obtenir un sursis, ou une commutation de peine en détention à perpétuité. Les gouverneurs ont longtemps fait figure de juge ultime dans des affaires criminelles. Les archives de l’Etat regorgent de lettres écrites au gouverneur pour tenter d’influencer ses décisions. Nul n’a été plus partagé sur le sujet que le gouverneur démocrate Edmund «Pat» Brown entre 1959 et 1967. Il avait été un partisan de la peine mort. Devenu gouverneur, le spectre de l’erreur judiciaire le conduisit à changer d’avis. L’affaire Caryl Chessman, ce petit délinquant condamné à mort en 1948 pour kidnapping, devenu en détention écrivain et avocat, provoqua des difficultés majeures pour Brown. Chessman ayant déjà un casier judiciaire, Brown ne pouvait commuer sa peine sans l’accord de la Cour suprême qui lui refusa. Le gouverneur essaya alors sans succès de convaincre la législature de Californie d’abolir la peine de mort. Chessman fut gazé en 1960.
Virulente campagne
En novembre 1966, Edmund Brown est battu par le républicain Ronald Reagan lors d’une élection qui marque l’essor de la nouvelle droite. Ce mouvement défend la «loi et l’ordre», une sévérité accrue face à la criminalité et au désordre découlant de la contestation politique et sociale. La peine de mort apparaît alors comme un symbole idéal. Lorsque la Cour suprême de Californie déclare la peine de mort inconstitutionnelle en février 1972, Reagan conduisit lui-même la campagne du référendum d’initiative populaire visant à la rétablir. Deux tiers des électeurs californiens approuvent la mesure enterrant l’abolitionnisme politique pour des décennies. C’est la Cour suprême de Californie qui résiste à la reprise des exécutions, suspendues depuis 1967. Le gouverneur républicain G. Deukmejian mène en 1986 une virulente campagne pour obtenir la destitution de trois magistrats de cette Cour opposée à la peine de mort. Les électeurs californiens approuvent à nouveau et, en 1992, les exécutions reprennent.
L’abolitionnisme politique semble donc anéanti en Californie. Le système, pourtant, s’enlise progressivement. L’Etat a promulgué des critères exigeants pour les avocats en charge d’assurer la représentation des condamnés à mort sans pour autant leur accorder de compensations financières assez importantes. Très peu d’avocats se portent volontaires pour travailler des années à préparer un appel difficile auprès de la Cour suprême de Californie ou d’une cour fédérale. Les condamnés à mort attendent des décennies avant de voir leurs appels examinés par les tribunaux. Seules 13 personnes sont exécutées entre 1992 et 2006, d’abord par asphyxie dans la chambre à gaz puis par injection létale.
Equation difficile
La peine de mort commence à être débattue à nouveau à partir du début des années 2000 autour de trois questions principales : l’innocence, la technique d’exécution et le coût du système. Le risque d’erreur judiciaire, relancée par les avancées de la technologie ADN, conduit au réexamen de nombreuses affaires. En Californie, la plus célèbre concerne Kevin Cooper. Cet Afro-Américain, condamné à mort pour un quadruple assassinat en 1983, a épuisé ses appels mais ses avocats estiment que la police a manipulé certaines preuves matérielles. Le gouverneur Newsom vient d’autoriser de nouvelles analyses. L’injection létale a été contestée devant les tribunaux fédéraux depuis 2006. Les abolitionnistes ont prouvé que le personnel pénitentiaire n’était pas compétent pour effectuer des injections létales sans douleur. Le gouverneur Schwarzenegger a fait bâtir une nouvelle salle d’exécution et adopter de nouvelles procédures qui n’ont pas été validées par la justice. Enfin, le coût du système entier de la peine capitale a été dénoncé dans un rapport officiel de 2008.
En 2012 et 2016, les électeurs californiens se voient par deux fois proposés d’abolir la peine de mort. A chaque scrutin, une majorité substantielle se dégage pour conserver la peine capitale. Un des facteurs expliquant l’échec de l’abolition tient à la grande timidité des grands élus démocrates de l’Etat. Le gouverneur Jerry Brown se refuse à la soutenir tout comme sa ministre de la Justice, l’actuelle candidate à la Maison Blanche, la sénatrice Kamala Harris. C’est donc cette équation politique difficile à laquelle le gouverneur Newsom s’attaque aujourd’hui. Suspendre toute exécution pour quatre ans et proposer une fois de plus aux citoyens du plus grand Etat des États-Unis d’abolir la peine de mort. Les Californiens pourraient alors envoyer un signal déterminant au reste du pays.
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