Kamala Harris Hits Out

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Le coup de poing de Kamala Harris

À l’issue de la première série de débats des primaires démocrates, Joe Biden, qui partait grand favori, pourra-t-il toujours compter sur le vote des Afro-Américains pour gagner la course ? À en croire les coups assénés par la candidate Kamala Harris, rien n’est moins certain.

On dit que si un arbre tombe au milieu de la forêt sans que personne ne soit témoin pour l’entendre, il n’y a pas de son. À l’inverse, lorsqu’un candidat présidentiel se « plante » en débat alors que 15 millions de téléspectateurs le regardent en direct, le moment est moins susceptible de passer sous silence. Or, c’est très largement le consensus, à la fois de la part des analystes et du grand public, s’étant dessiné au lendemain de la contre-performance de Joe Biden lors des premiers débats démocrates la semaine dernière.

L’avance de Biden, qui dépassait les 25 points sur son plus proche rival pour l’investiture présidentielle démocrate en mai à la suite du lancement de sa campagne, avait été coupée environ de moitié dû à des erreurs, notamment sur la question du financement public de l’avortement. Or, deux nouveaux sondages nationaux publiés plus tôt cette semaine, par CNN et l’Université Quinnipiac, indiquent qu’elle a carrément fondu, n’étant désormais plus que de deux et cinq points, respectivement, sur sa plus proche compétitrice, la sénatrice de Californie Kamala Harris.

Harris a défrayé les manchettes pour son attaque coup de poing contre Biden au débat sur la question de la déségrégation raciale dans les années 1970. Biden, alors jeune sénateur, s’opposait à l’intervention du gouvernement fédéral américain pour forcer les enfants blancs à prendre l’autobus pour aller à l’école dans des quartiers noirs, et les enfants noirs à prendre l’autobus pour aller à l’école dans des quartiers blancs — une idée qui, bien qu’extrêmement controversée à l’époque, est devenue politiquement indéfendable pour un candidat démocrate en 2019.

Elle est d’autant plus épineuse pour Biden dans un contexte où Kamala Harris est elle-même noire — et que l’avance de Biden jusqu’aujourd’hui était ancrée d’abord et avant tout dans sa position de force avec l’électorat afro-américain. Cette avance de Biden auprès cet électorat, qui dépassait les 30 points de pourcentage, a été réduite, dans les sondages CNN et Quinnipiac, à deux et dix points.

Or, il importe de réaliser le poids de cet électorat dans un contexte de primaires démocrates. En 2016, les Afro-Américains constituaient environ le quart des électeurs démocrates à l’échelle nationale dans la course entre Hillary Clinton et Bernie Sanders. Auprès des électeurs blancs, Clinton et Sanders étaient en fait à égalité. Ce qui a permis à Clinton de distancer son rival était, foncièrement, qu’elle ait récolté un peu des plus des trois quarts du vote noir — une domination outrancière — face à Sanders.

Dans plusieurs États du Sud, Clinton a effectué un balayage ayant grandement contribué à la catapulter vers l’investiture du parti. En Caroline du Sud — État névralgique de par le fait qu’il vote tôt dans le calendrier des primaires — Clinton a remporté 86 % du vote noir. En Georgie, elle en a gagné 85 % ; au Mississippi, 91 % ; en Alabama, 93 %. Dans tous ces cas, les Noirs constituaient une majorité absolue de l’électorat démocrate — et on s’attend à ce qu’ils en fassent de même en 2020.

Ce n’est donc pas un hasard si Kamala Harris a choisi un enjeu de nature raciale, plus que tout autre, pour lancer cette première salve en débat contre Biden. Et ce n’est pas un hasard si dès le lendemain, Biden a tenté de limiter les dégâts en s’envolant pour Chicago, la ville à l’origine de la carrière politique de Barack Obama où près du tiers des résidants sont noirs, pour livrer un discours à des leaders de la communauté afro-américaine. L’exercice avait les airs d’hommage au président — le premier afro-américain de l’histoire américaine, bien sûr — sous lequel Biden a servi comme vice-président de 2009 à 2017.

Ce n’était pas la première fois que Biden tentait de mettre l’accent sur son association à Obama pour mousser ses propres ambitions présidentielles. Le mois dernier, il avait notamment publié, sur son compte Twitter, une image pour le moins étrange d’un collier d’amitié ornant les prénoms « Joe » et « Barack » pour souligner « la journée des meilleurs amis ».

Or, cette approche n’est pas sans risque pour Biden, dans la mesure où Obama n’a jamais appuyé la candidature de Biden. Cela est remarquable en soi dans un contexte où les deux derniers vice-présidents démocrates à avoir lancé une campagne présidentielle avaient pu compter clairement à l’aube des primaires sur l’appui public des présidents qu’ils avaient servi — Walter Mondale, vice-président de Jimmy Cater, en 1984, puis Al Gore, vice-président de Bill Clinton, en 2000.

De son côté, lui, Obama avait activement découragé Biden de briguer la Maison-Blanche en 2016 pour tenter de laisser la voie libre à Hillary Clinton. Puis, plus tôt cette année, lorsque Biden a dû faire face à un barrage de critiques sur des comportements jugés inappropriés à l’égard de plusieurs femmes, Obama n’a pas daigné sortir une seule fois pour même défendre l’intégrité ou la réputation de son vice-président.

Si le meilleur « pare-feu » sur lequel Biden peut espérer jouir pour protéger son avance auprès de l’électorat afro-américain est son loyal service à Obama, la question que ses adversaires — que ce soit Harris ou autre — seront en lieu de lui demander à un futur débat est écrite dans le ciel : « pourquoi Barack Obama ne vous renvoie-t-il pas l’ascenseur ? »

Restera à voir si la défense de Biden sera plus convaincante que celle qu’il a offerte la première fois que son appui auprès de cet électorat a été attaqué.

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