L’administration Trump invite implicitement le Liban officiel à couper les ponts avec le parti chiite.
La décision prise mardi par les États-Unis d’élargir le champ d’application des sanctions en y incluant des personnalités politiques du Hezbollah ne manquera pas de secouer un peu plus la scène politique libanaise déjà fragilisée par une multitude de dissensions et une crise économique des plus inquiétantes.
Bien qu’inédites – c’est la première fois que la branche dite politique du Hezbollah est visée de la sorte –, ces sanctions, à la forte symbolique, ne risquent pas pour l’heure d’affecter l’économie ou le secteur bancaire en tant que tels, selon les experts, mais pourraient mettre le Liban officiel dans l’embarras. Déjà miné par une série de polémiques internes, le gouvernement est appelé à prendre position pour protester – ne serait-ce que pour la forme – contre ces nouvelles mesures, sans toutefois susciter le courroux de l’administration américaine, qui reste en définitive le principal pourvoyeur de fonds et d’équipements à l’armée libanaise.
Pour l’heure, le chef de l’État Michel Aoun a affirmé que le Liban « va suivre ce dossier avec les autorités américaines concernées ». Le président du Parlement Nabih Berry a dénoncé pour sa part une « agression », alors que le Premier ministre Saad Hariri évoquait hier un « nouveau tournant » qu’il va falloir traiter « de la manière que nous jugerons adéquate ».
S’inscrivant dans la foulée des sanctions qui pleuvent depuis plus d’un an sur l’Iran et son allié le Hezbollah, un parti placé par les États-Unis sur la liste des organisations terroristes, ces nouvelles mesures américaines contre Mohammad Raad, le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, le député Amine Cherri et le responsable du service de sécurité du parti, Wafic Safa, revêtent une signification politique majeure. Pour de nombreux analystes, il s’agit d’une nouvelle mise en garde américaine adressée au gouvernement libanais pressé de se distancier le plus possible du Hezbollah.
En s’attaquant à des représentants siégeant au Parlement notamment, l’administration US envoie un message clair à qui veut l’entendre qu’il n’y a plus lieu de faire le distinguo entre branche politique et branche armée du parti chiite. Une position explicitement motivée dans le communiqué publié par le Trésor américain, qui a diffusé une photo de M. Cherri aux côtés de Kassem Soleimani, chef de la Force al-Qods, la branche chargée des opérations extérieures des gardiens de la révolution iraniens. Cette proximité, précise le communiqué, « illustre l’absence de distinction entre les activités politiques et militaires du Hezbollah ». Le député de Beyrouth est également accusé d’avoir menacé les responsables d’une banque et leurs familles après que l’établissement a gelé les comptes de membres du parti chiite placés sur la liste des sanctions américaines.
Quant à Mohammad Raad, le Trésor américain lui reproche de « continuer à donner la priorité aux activités du Hezbollah et à prendre en otage la prospérité du Liban ». Autant de motifs qui, selon les experts, ne sont pas convaincants dans leur formulation et n’expliquent pas les véritables enjeux derrière le choix de ces trois nouvelles victimes des sanctions US.
Car si l’impact financier direct sur les trois personnalités est quasiment nul – le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah avait déjà affirmé il y a plusieurs mois qu’aucun membre du parti chiite ne détenait des comptes dans les banques libanaises, une information confirmée par une source proche du secteur bancaire–, c’est le message politique derrière cette initiative qui est surtout à retenir.
En ciblant, pour la première fois, des députés et une des figures les plus importantes de l’appareil de sécurité du parti chiite, les Américains cherchent vraisemblablement à dire à l’ensemble de la classe politique libanaise qu’il est temps de prendre au sérieux la guerre que mènent les États-Unis contre l’Iran et son bras droit, le Hezbollah, et que l’escalade va se poursuivre.
« Le message que vient d’envoyer l’administration US n’est pas seulement adressé au Hezbollah, mais également à l’État libanais. Ces nouvelles sanctions surviennent après une série d’avertissements lancés notamment par le secrétaire d’État Mike Pompeo », commente pour L’Orient-Le Jour Hanine Ghaddar, chercheuse au Washington Institute. Lors de son dernier passage au Liban en mars dernier, le responsable du département d’État américain avait clairement dénoncé les « activités déstabilisatrices » du Hezbollah, appelant les Libanais à « faire face » au parti chiite qui « met le Liban et son peuple en danger ».
« Nous allons passer beaucoup de temps à dialoguer avec le gouvernement libanais sur les moyens que nous pouvons mettre à sa disposition pour l’aider à couper le fil que l’Iran et le Hezbollah lui tendent », avait déclaré le secrétaire d’État devant les médias. Le ton avait été donné.
Ces nouvelles sanctions, qui se sauraient être dissociées des mesures prises par l’administration de Donald Trump à l’encontre de l’Iran, seraient ainsi une manière indirecte de rappeler le gouvernement libanais à l’ordre. « La marge de tolérance à l’égard de l’exception libanaise représentée par l’implication du Hezbollah dans le système institutionnel libanais est en train de rétrécir », commente à son tour l’analyste politique Sami Nader.
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