Trump, la Fed et nous
Comme prévu, la Réserve fédérale américaine a réduit ses taux directeurs d’un quart de point de pourcentage, hier. Le geste avait beau être attendu, il n’en est pas moins inhabituel et, de ce fait, soulève de nombreuses questions.
« Ç’a été largement télégraphié », a souligné le président de la Fed en conférence de presse hier après-midi.
Jerome Powell ne s’était effectivement pas laissé le choix. Le comité « agira de façon appropriée pour soutenir la croissance », avait-il promis en juin, une justification maintes fois resservie hier.
Une réduction de taux vise à faciliter les conditions de crédit pour les particuliers et les entreprises, ce qui est censé stimuler l’économie. Les banques centrales ont donc l’habitude d’utiliser ce traitement pour contrer une récession ou un ralentissement. Sauf qu’en ce moment, l’économie américaine se porte très bien, merci. Il s’agit plutôt d’une police d’assurance contre la faiblesse de la croissance mondiale et les incertitudes en matière de commerce international, a expliqué le président de la Fed.
Le raisonnement a beau être simple, M. Powell a dû ramer fort pour le défendre – et Donald Trump ne lui a pas facilité la tâche.
Tant que la Fed augmentait ses taux ou les laissait inchangés, elle renforçait son image d’indépendance. Mais les baisser en ce moment, alors que rien, sauf les demandes répétées du président américain, ne semble le justifier ?
Les gouverneurs de la Fed ne tiennent jamais compte des déclarations politiques, mais ils n’élaborent pas non plus leurs politiques monétaires dans le but de prouver leur indépendance, a insisté M. Powell.
« Nous ne critiquons aucunement les politiques en matière de commerce international, ce n’est pas notre boulot », a-t-il aussi assuré, devançant les questions sur le responsable de ce fâcheux climat d’incertitude.
Au terme de la conférence d’hier, deux éléments au moins ne faisaient pas de doute : l’indépendance d’esprit de la Fed et le danger de se mêler de ses décisions lorsqu’on dirige le pays. Car, enfin, à quoi servirait une banque centrale en laquelle il n’est plus possible d’avoir confiance ?
Donald Trump a heureusement donné un coup de pouce aussi involontaire qu’inattendu… en se montrant égal à lui-même. « Comme d’habitude, Powell nous a laissé tomber », a-t-il réagi sur Twitter, en lui reprochant de ne pas avoir annoncé une longue série de réductions de taux.
On peut s’interroger sur la stratégie du président de la Fed, mais s’il y a une chose qu’on ne pourra pas lui reprocher, c’est bien d’avoir obéi au locataire de la Maison-Blanche !
D’autres questions, par contre, restent en suspens. Notamment de ce côté-ci de la frontière, où l’on doit maintenant se demander quand la Banque du Canada se sentira elle aussi obligée de réduire son taux directeur. « Si la Fed les réduit trois fois en 2019, il est possible que la Banque du Canada finisse par y aller d’une baisse vers la fin de l’année », avance l’économiste en chef de RBC Gestion mondiale d’actifs, Eric Lascelles.
Mais combien de temps la stimulation économique préventive de la Fed permettra-t-elle de tenir la prochaine récession à distance ? Et surtout, est-ce bien raisonnable de signaler aux consommateurs et aux entreprises que les bas taux d’intérêt sont là pour de bon ?
En dopant ainsi la croissance dans l’espoir de la maintenir en vie le plus longtemps possible, les États-Unis ne risquent-ils pas de créer une nouvelle forme de bulle dont l’éclatement sera tout aussi brutal que les précédents ?
On ne le souhaite évidemment pas à notre voisin et principal client de nos exportations, mais il faudra garder l’oeil ouvert.
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