L’année 2019 s’est terminée sur une note relativement positive. L’espoir d’un retour de la croissance mondiale renaît, les tensions commerciales s’apaisent. Mais cette embellie, pour Mohamed A. El-Erian, ne devrait pas durer éternellement. Les incertitudes macroéconomiques et géopolitiques sont telles que, d’ici à cinq ans, une rupture prolongée et croissante des relations économiques et financières transfrontalières pourrait s’instaurer. Une démondialisation à laquelle personne, notamment les marchés, n’est préparé.
Comment aider les décideurs politiques et les investisseurs à anticiper ce qui pourrait arriver en 2020 ? L’année 2019 s’est terminée sur une note relativement positive. L’espoir d’une reprise de la croissance mondiale renaît, les tensions commerciales se sont atténuées, et les banques centrales ont réaffirmé leur volonté de maintenir des taux d’intérêt très faibles en poursuivant l’apport de liquidités massives. La volatilité financière est actuellement maîtrisée, et il existe de bonnes raisons de croire à de solides rendements pour les investisseurs dans de nombreuses catégories d’actifs.
Désengagement des Etats-Unis
Mais aussi tentant soit-il de se satisfaire des conditions financières et macroéconomiques actuelles, prenons garde à ne pas négliger un élément clef des perspectives futures. Il existe en effet un curieux contraste entre la relative clarté des attentes à court terme et le flou qui se dégage lorsque l’on étend davantage l’horizon, disons sur une période de cinq ans.
De nombreux pays sont aujourd’hui confrontés à des incertitudes structurelles. Au cours des cinq prochaines années, l’Union européenne travaillera par exemple à l’instauration d’une nouvelle relation de travail avec le Royaume-Uni , tout en ayant à gérer les effets sociaux et politiques défavorables d’une croissance lente et insuffisamment inclusive. L’UE devra naviguer sur les eaux agitées d’une période prolongée de taux d’intérêt négatifs, tout en oeuvrant pour consolider son coeur économique et financier. Tant que l’architecture de la zone euro demeurera incomplète, des risques constants d’instabilité existeront.
Par ailleurs, au cours des prochaines années, les Etats-Unis, qui surclassent nettement la plupart des autres économies, décideront s’ils entendent ou non poursuivre leur désengagement par rapport au reste du monde – un processus en contradiction avec la position historique de l’Amérique en tant que centre de l’économie planétaire.
Eviter une confrontation ouverte
Quant à la Chine, le recours massif à des mesures de relance de court terme s’inscrit de plus en plus en distorsion avec les réformes à plus long terme dont le pays a besoin. Et ses ambitions géopolitiques, ainsi que ses engagements économiques et financiers régionaux (dont la nouvelle route de la soie) se font de plus en plus coûteux. Plus important encore, au cours des cinq prochaines années, la Chine et les Etats-Unis, les deux plus grandes puissances économiques de la planète, devront arpenter un chemin de plus en plus étroit dans leurs efforts de sécurisation de leurs propres intérêts, tout en évitant une confrontation ouverte.
Les incertitudes macroéconomiques et géopolitiques d’aujourd’hui sont vouées à amplifier les incertitudes alimentées par les ruptures technologiques, le changement climatique, et la démographie. Ces tendances structurelles à moyen terme pourraient poser les bases d’une fragmentation politique et sociale plus prononcée encore que celle que l’on observe aujourd’hui, et faire apparaître le spectre d’une démondialisation séculaire. S’il est une chose face à laquelle l’économie mondiale et les marchés ne sont pas armés, c’est bien une rupture prolongée et croissante des relations économiques et financières transfrontalières. Si un tel paradigme venait à se concrétiser, les actuelles tensions commerciales, monétaires, et frictions liées à l’investissement s’intensifieraient et se propageraient jusque dans la sphère de la sécurité nationale et de la géopolitique.
Cette terrible issue est encore évitable (du moins pour l’heure). Nous pouvons encore y échapper à condition de promouvoir une croissance plus forte et plus inclusive, de rétablir une véritable stabilité financière, et de créer un système plus juste et plus crédible (pour autant libre) de commerce, d’investissement et de coordination des politiques au niveau international.
Paralysie politique actuelle
Beaucoup dépendra toutefois du fonctionnement des politiques dans un avenir très proche. Les inquiétudes quant à une récession mondiale s’estompent, les conditions financières sont actuellement ultra-accommodantes, et les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine connaissent une désescalade. Mais ces circonstances favorables ne dureront pas éternellement.
Malheureusement, un élan politique susceptible d’améliorer et de clarifier les perspectives à moyen terme apparaît peu probable. Les Etats-Unis s’orientent vers une année électorale tendue et créatrice de divisions . L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne vivent chacune actuellement une transition politique difficile. L’UE doit faire face au Brexit, ainsi qu’à d’autres divisions régionales. Quant à la Chine, son gouvernement s’efforce de consolider son pouvoir face à une croissance déclinante ainsi qu’à des manifestations qui ne faiblissent pas à Hong Kong . Ignorée par un trop grand nombre d’acteurs des marchés, la principale inquiétude est la suivante : au cours des cinq prochaines années, il n’est pas impossible qu’une détérioration des conditions économiques et des marchés mondiaux soit nécessaire, jusqu’à des niveaux de crise, pour que les systèmes politiques nationaux, régionaux et multilatéraux élaborent enfin une réponse adéquate.
J’espère me tromper quant à la paralysie politique actuelle. Tant qu’il est encore temps, il existe un espoir de voir les décideurs politiques suivre les judicieux conseils formulés en octobre 2017 par la directrice du FMI de l’époque, Christine Lagarde : « C’est quand le soleil brille qu’il faut réparer le toit. »
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.