Retour d’une guerre froide
La crise autour de TikTok est le dernier avatar d’une balkanisation de l’espace internet.
Paix impossible, guerre improbable. C’est par cette formule devenue célèbre que Raymond Aaron caractérisait la période de la Guerre froide. Un entre-deux paralysant, traumatisant, de l’histoire du XXe siècle, que l’affaire TikTok remet aujourd’hui au goût du jour avec cette fois, au cœur du processus, non plus l’empire des idéologies, mais l’empire des data.
Nulle intention de prendre ici position sur la menace de Donald Trump d’interdire le réseau social chinois sur le territoire américain. Si les risques d’espionnage à grande échelle sont bien réels, le nationalisme forcené et pré-électoral de Trump est tout aussi suspect. Ceci dit, le gouvernement chinois n’a que la monnaie de sa pièce: depuis 2009, il interdit les activités de Facebook, Twitter et autre YouTube sur son territoire au bénéfice de ses géants nationaux Baidu et Tencent.
Ce techno-nationalisme des deux colosses économiques n’alimente pas moins une nouvelle dynamique dévastatrice.
Pour autant, dans la foulée de la croisade anti-Huawei, ce techno-nationalisme des deux colosses économiques n’alimente pas moins une nouvelle dynamique dévastatrice.
Dévastatrice du point de vue économique d’abord. Si la Guerre froide du siècle passé séparait le monde en deux, avec ses sphères d’influence plus ou moins distinctes, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Désormais, globalisation aidant, les intérêts sont plus intégrés, interdépendants, superposés, et les retombées et dégâts collatéraux sont à enregistrer sur les comptes des deux belligérants, voire de toute la planète. Les hausses tarifaires aux frontières provoquées par la guerre commerciale sont là pour nous le rappeler.
Dévastatrice du point de vue sociétal également. L’affaire TikTok n’est que le dernier avatar d’une balkanisation de plus en plus poussée de l’espace internet, que dénonçait déjà un certain… Barack Obama. L’ancien président américain prônait la re-création de cet espace commun, philosophie de la première heure chère aux pionniers du web, pour éviter le développement de mondes de plus en plus distincts, enfermés sur eux-mêmes et renforçant leurs biais. Si Obama parlait du morcellement à l’œuvre dans nos sociétés, générateur d’extrémismes à tout crin, il pourra voir combien son analyse vaut aujourd’hui, à l’heure où un “chinese wall” numérique singe étrangement le Rideau de fer. Et voir aussi combien le risque est bien réel que cette paix impossible, cette guerre improbable à l’époque durement ressentie par nos sociétés, vienne une nouvelle fois paralyser le monde pendant des décennies.
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