Scorched-Earth Politics

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Politique de la terre brûlée

« Mussolini n’avait aucune philosophie : il n’avait qu’une rhétorique. » Propos d’Umberto Eco tenus en 1995 dans un discours à l’Université Columbia à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Libération. Idem pour Donald Trump.

Il a commencé la semaine en affirmant que s’il perdait le 3 novembre prochain, c’est que la présidentielle aura été truquée et que le « peuple » se la sera fait voler. Il l’a terminée jeudi soir, dans une charge à fond de train contre son rival démocrate Joe Biden, « cheval de Troie du socialisme », en soutenant qu’il s’agissait de « l’élection la plus importante dans l’histoire [du] pays » — ce avec quoi ses adversaires auront sans doute tendance à être d’accord. Un discours d’acceptation de l’investiture rempli de mensonges, livré devant la Maison-Blanche en confondant impunément la fonction présidentielle avec ses ambitions électorales. Où il a évoqué le spectre de « l’arrivée massive de migrants » si Biden — qui mène dans les sondages — prenait le pouvoir et prétendu en avoir fait plus qu’Abraham Lincoln pour les Afro-Américains. Et dans lequel il s’est lancé des fleurs pour sa gestion pourtant aberrante de la pandémie de coronavirus, sans manifester la moindre empathie pour ses victimes.

Entre les deux, la convention républicaine a créé un monde parallèle dépeignant le président comme un homme juste et bon, ouvert à la diversité du monde. Où la famiglia, à commencer par son épouse Melania et sa fille Ivanka, s’est employée à donner un visage humain à un homme qui tient en fait du parrain mafieux. En déconnexion déconcertante avec la réalité — à l’image du personnage.

Comment les républicains en sont-ils arrivés là ? M. Trump n’a pas pris le parti en otage, analyse dans le New York Times Stuart Stevens, consultant républicain déboussolé. Il est tout simplement la « conclusion logique » de l’évolution du parti depuis cinquante ans. Il est aussi, ainsi que l’écrivait l’écologiste Roméo Bouchard en page Idées du Devoir en 2017, alors que M. Trump commençait son mandat, le « miroir » de nos sociétés : miroir d’une société qui accepte de voir s’accroître les inégalités sociales ; qui refuse de prendre au sérieux les changements climatiques ; et qui a « totalement perdu l’idée même de la démocratie ».

Mais miroir d’une partie seulement de nos sociétés, heureusement. Il n’y a qu’à voir l’ampleur qu’a prise la résistance antiraciste depuis le meurtre par un policier de l’Afro-Américain George Floyd contre un déni de droits — une politique de la terre brûlée — qui consiste pour M. Trump à réduire les manifestants à des voyous. Le mouvement de protestation des athlètes professionnels, né dans la NBA dans la foulée de ce qui est arrivé dimanche dernier à Jacob Blake, atteint par un policier blanc de sept balles dans le dos à Kenosha, au Wisconsin, est à ce titre extraordinaire. Ces revendications de justice sociale ne seront pour autant porteuses qu’à condition qu’elles aient voix au chapitre autrement que par la seule rue et les seuls médias.

Cette politique de la terre brûlée, c’est le mépris qu’affiche partout M. Trump depuis 2016 pour la démocratie. Ce sont les forces fédérales envoyées à Portland. C’est l’adhésion du président à des thèses conspirationnistes comme celles de la mouvance QAnon, « parce qu’ils m’aiment beaucoup, ce que j’apprécie », et dont les meneurs ont circulé dans les couloirs — virtuels — de la convention.

Et c’est cette invitation à prendre la parole pendant la convention faite à ce couple de Saint-Louis porté aux nues pour avoir pointé, du porche de leur maison cossue, des armes à feu sur des manifestants de Black Lives Matter. Une invitation qui se trouve, par association, à encourager l’apparition de milices armées dans les rues des États-Unis, et donc à justifier la mort par balles, mardi soir à Kenosha, de deux manifestants, tués par un jeune milicien de 17 ans, Kyle Rittenhouse, admirateur avoué du président.

Avec le résultat que Trump, armé de sa rhétorique, se présente à l’élection en croisé de la loi et l’ordre en même temps qu’il appelle ses sympathisants d’extrême droite à la violence. Il ne demande pas mieux que de voir dégénérer les manifestations largement pacifiques contre le racisme et la brutalité policière et de fabriquer d’avance le « chaos » qu’il prédit aux Américains si Biden est élu.

Il n’est pas impossible que son « populisme émotionnel », pour reprendre le concept de la sociologue Eva Illouz, fasse mouche, comme en 2016. Reste que le malaise a grandi dans l’électorat. Les quatre dernières années ont souligné à quel point un président a le pouvoir d’abuser de ses prérogatives. Sauf à faire l’autruche, les Américains soucieux de leur système démocratique ne peuvent pas ne pas avoir pris la mesure du danger.

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