Political Violence

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Les réactions n’ont pas tardé à la suite du déboulonnage de la statue de sir John A. Macdonald samedi dernier. Réactions tout aussi vives face au documentaire sur les frères Rose, les deux hommes responsables de l’enlèvement (et ultimement de la mort) de Pierre Laporte. Associée à tort ou à raison à la « gauche radicale », rien ne fait plus peur que l’idée de la violence politique.

Les politiciens en particulier se font un devoir de décrier ce genre de gestes — même en mode mineur tel le saccage d’effigies — de peur d’avoir l’air de sympathiser avec le diable. Et pourtant. Le diable est aux vaches, et le chaos à la porte, chez nos voisins américains. Combien de politiciens d’ici s’en émeuvent ? Où sont les voix qui déplorent la violence inouïe qui se déroule actuellement aux États-Unis ?

Il faut évidemment prendre le terme avec des pincettes, mais si jamais vous vous demandiez en quoi consiste ce qu’on pourrait qualifier de fascisme d’État, vous n’avez qu’à regarder ce qui se passe depuis la Maison-Blanche. Les quatre jours de la convention républicaine ont été à cet égard riches en enseignement. Le mensonge, d’abord. Pas seulement les exagérations et les fabrications auxquelles Donald Trump nous a habitués, mais la distorsion de ce que nous percevons même comme étant la vérité. C’est cette gigantesque entreprise de manipulation mentale qui fait peur et qui, oui, fait penser aux années les plus sombres du siècle dernier.

Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, Trump s’est évertué à créer un monde parallèle, un monde de « faits alternatifs », comme se plaît à le dire l’imperturbable conseillère Kellyanne Conway. Un monde dans lequel il a remporté le vote populaire en 2016, où il a rassemblé la plus grande foule à sa cérémonie d’assermentation, où il a rétabli la puissance américaine sur la scène internationale et, bien sûr, où il a agi comme nul autre pour freiner la pandémie.

De fieffés mensonges mais qui, à force d’être répétés, non seulement par le prestidigitateur en chef mais par son entourage immédiat, jamais (ou si peu) démentis par les membres républicains du Congrès eux-mêmes, tout ce bourrage de crâne finit par créer l’illusion que « ce que vous voyez et ce que vous lisez n’est pas réellement ce qui se passe ».

L’imposition de ce monde parallèle a atteint son paroxysme lors de la convention républicaine la semaine dernière. Spectacle de propagande éhontée, repue de colonnes grecques et de drapeaux géants, non seulement y a-t-on dépeint Donald Trump en bon père de famille, grand défenseur de l’avancement des femmes, des Noirs et des minorités, mais on a semé l’illusion de deux Amériques diamétralement opposées : l’une forte, indestructible et prospère, celle de Trump, l’autre chaotique et appauvrie, encourageant l’infanticide, le pillage et l’anarchie. « Personne ne sera à l’abri dans le monde de Joe Biden », clame l’actuel président.

« Dans un tel contexte, la vérité n’a aucune importance », explique Peter Pomerantsev, ex-réalisateur à la télévision russe et auteur de Rien n’est vrai et tout est possible. Car la vérité est ce que Trump veut bien qu’elle soit. Le génie (si on peut dire) consiste ici non seulement à faire gober des mensonges, mais à convaincre les gens de ne pas croire autre chose que ce qu’on leur donne comme information. La réalité objective n’existe plus, en d’autres mots. Pour réaliser un tel tour de passe-passe, la conjuration d’un monde sombre et maléfique, rappelant encore une fois les années 1930 en Europe, est capitale. Une entreprise à laquelle s’applique, là encore, Donald Trump depuis longtemps. Souvenons-nous d’un de ses premiers cris de ralliement, « lock her up ! », insinuant que Hillary Clinton, en 2016, méritait la prison.

Aujourd’hui, ce sont les manifestants de Black Lives Matter que l’imagination fiévreuse de Donald Trump transforme en vils maraudeurs face auxquels les bons « patriotes » ont le devoir de se défendre. « When the looting starts, the shooting starts », menaçait-il plus tôt cet été. Depuis, Trump a fait grimper les enchères d’incitation à la violence en demandant à ses partisans de se joindre à son « armée personnelle » (« VOUS êtes ma première ligne de défense quand vient le temps de combattre la meute libérale »). C’est vraisemblablement à cet appel que répondait d’ailleurs Kyle Rittenhouse, le jeune de 17 ans qui a abattu deux manifestants la semaine dernière. Comme dit l’historien Christopher Browning, « à partir du moment où les gens n’acceptent plus les règles de base de la démocratie, tout peut se dérégler rapidement ».

Alors, le déboulonnage de statues ? Pas l’idéal, on en convient. La prise d’otages, encore moins.

L’intimidation sentira toujours mauvais. Mais les causes, au moins, dans ces deux cas, sont légitimes. Les felquistes avaient raison de se battre pour le petit ouvrier canadien-français, tout comme sir John A. mérite aujourd’hui d’être déboulonné. C’est une différence de taille avec ce que l’on constate chez nos voisins. La violence qui a de plus en plus libre cours là-bas n’a aucune autre justification que la mégalomanie d’un seul homme. Comment ne pas s’inquiéter ?

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