La hâte du président Donald Trump pour remplacer la juge Ruth Bader Ginsburg à six semaines de l’élection présidentielle est politiquement indécente et potentiellement dangereuse pour la Cour suprême elle-même.
Quelques jours avant de s’éteindre, vendredi 18 septembre, à l’âge de 87 ans, la juge Ruth Bader Ginsburg avait confié à sa famille que son souhait « le plus fervent » était de ne pas être remplacée à la Cour suprême avant que le futur président des Etats-Unis ait pris ses fonctions à la Maison Blanche, le 20 janvier.
Ce n’était, à vrai dire, un secret pour personne. Nommée par Bill Clinton en 1993, Ruth Bader Ginsburg, la plus progressiste des neuf magistrats de la plus haute juridiction américaine, s’accrochait désespérément à la vie, malgré le cancer du pancréas qui la rongeait, pour tenter de passer le cap de l’élection présidentielle du 3 novembre. Elle espérait, sans aucun doute, la victoire du candidat démocrate.
Mais surtout, en juriste qui avait inlassablement, et avec un immense talent, défendu le respect de la Constitution et l’égalité des droits, elle savait le risque que ferait peser sur les institutions sa disparition dans la période incertaine de la dernière longueur de la campagne électorale, puis de la transition, pendant laquelle, entre l’élection en novembre et l’investiture en janvier, l’administration sortante détient encore le pouvoir.
Donald Trump joue avec le feu
L’occasion, cependant, est trop belle pour Donald Trump. Le président n’a pas attendu vingt-quatre heures pour renier l’hommage à la juge disparue publié, en termes inhabituellement respectueux et modérés, en son nom par la Maison Blanche peu après l’annonce de la mort de cette icône de la gauche.
Alors que Joe Biden, son adversaire démocrate, lui demandait de surseoir à la nomination du successeur de Ruth Bader Ginsburg jusqu’à ce que le président élu et le Sénat partiellement renouvelé soient en place, M. Trump a tweeté que cette procédure devait, au contraire, être menée à bien « sans délai ».
Il ne s’est pas caché non plus de vouloir en faire un argument électoral : il choisira une femme, a-t-il annoncé, au moment où les intentions de vote de l’électorat féminin se portent majoritairement sur la candidature de Joe Biden. M. Trump nommera donc sa candidate dès cette semaine.
Le président joue avec le feu. Son empressement à remplacer la juge Bader Ginsburg n’est pas seulement politiquement indécent, puisque le sénateur Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat, avait lui-même bloqué en 2016 la nomination d’un juge par le président Barack Obama, à huit mois de l’élection présidentielle, au motif que la proximité de l’échéance électorale ne le permettait pas. Il est aussi dangereux pour la légitimité de la Cour suprême, pilier de la démocratie aux Etats-Unis.
Une Cour suprême de plus en plus politisée
M. Trump a déjà nommé deux juges à la Cour suprême – dont l’un grâce à l’opération d’obstruction dirigée par le sénateur McConnell en 2016. Il a, parallèlement, très activement renouvelé l’appareil judiciaire en nommant dans les juridictions fédérales, notamment d’appel, des magistrats conservateurs. Tenter de passer en force pour faire confirmer par le Sénat actuel un troisième juge de son choix dans une Cour suprême de plus en plus politisée placerait celle-ci en porte-à-faux, si l’élection du 3 novembre se soldait par une victoire démocrate à la Maison Blanche et au Sénat.
Les juges de la Cour suprême ont, certes, su faire preuve de sagesse et d’indépendance par le passé, y compris à l’ère Trump. Mais, à la veille d’une élection qui s’annonce techniquement chaotique en raison de la pandémie, cette nouvelle secousse ne peut que fragiliser un peu plus la démocratie américaine.
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