En Iowa, le duel qui pourrait changer la face de l’Amérique
Les démocrates iront-ils chercher aux républicains ce fameux 51e siège qui leur donnerait le contrôle complet du Sénat ? C’est en Iowa que se trouve la réponse, où deux femmes s’opposent dans la plus importante élection sénatoriale de 2020.
Alors que tous les yeux sont braqués sur la course à la Maison-Blanche, une autre course, menée en parallèle, aura un effet déterminant sur ce que le prochain président pourra réellement accomplir : celle pour la maîtrise du Sénat.
D’un côté, les démocrates ont un programme législatif extrêmement ambitieux qu’ils semblent prêts, si Joe Biden est élu, à faire adopter sans l’appui des républicains — quitte à faire sauter, pour y parvenir, des mesures de longue date, comme l’obstruction parlementaire. De l’autre côté, les républicains semblent très peu susceptibles de tendre la main à une nouvelle administration démocrate. Advenant une mince majorité de l’un ou de l’autre parti, les conséquences s’annoncent donc dans les faits gigantesques.
Même avec une majorité démocrate ténue, on pourrait assister, comme je l’écrivais plus tôt cet été, à une transformation économique et sociale du pays ayant peu de parallèles récents. Et si l’élection se soldait par une mince majorité républicaine, le président se trouverait grandement contraint.
Alors que la majorité démocrate à la Chambre des représentants semble inébranlable et que Joe Biden continue d’être largement favori pour défaire Donald Trump, le suspense le plus important se déroule ailleurs : au Sénat. Bien malin celui qui peut prédire avec assurance si les démocrates pourront y reprendre la majorité tellement la lutte s’y annonce serrée.
Le 51e siège
Les démocrates détiennent actuellement 47 sièges sur 100 au Sénat, et les républicains, 53.
Trois sièges sont pratiquement assurés de passer au camp adverse : ceux de l’Alabama (gain républicain à prévoir), de l’Arizona (gain démocrate à prévoir) et du Colorado (gain démocrate à prévoir). Selon ce scénario, les démocrates en seraient à 48 sièges.
Deux autres sénateurs républicains sont à peine moins vulnérables, au Maine et en Caroline du Nord. S’ils tombent eux aussi au combat, cela donnera 50 sièges aux démocrates. Le Sénat sera alors divisé parfaitement, chacun des partis ayant 50 sièges.
Dans le cas où le Sénat est scindé à 50-50, il n’y a pas de règle constitutionnelle clairement établie. La dernière fois que cela s’est produit, au tout début de la présidence Bush fils, les leaders des deux camps avaient convenu de règles — par exemple, chaque comité du Sénat serait composé d’un nombre égal de sénateurs de chaque parti.
Or, rien n’indique d’emblée à quoi la dynamique ressemblerait cette fois. Il est vrai que, dans des cas d’égalité au Sénat, la vice-présidente (la colistière de Joe Biden, Kamala Harris) briserait l’égalité. Techniquement, les démocrates pourraient officiellement avoir la mainmise sur le Sénat à 50-50, mais concrètement être paralysés.
Dans ce contexte, la question est de savoir si les démocrates vont aller chercher ce fameux 51e siège, avec lequel viendrait la maîtrise complète du Sénat. C’est là sans doute qu’entre en jeu la plus grande lutte sénatoriale de l’élection 2020 : celle de l’Iowa, entre deux femmes, Joni Ernst, sénatrice républicaine sortante, et Theresa Greenfield, son adversaire démocrate. Le 51e siège risque de se jouer là.
Une star qui pourrait sombrer
Joni Ernst n’est pas une sénatrice comme les autres. (Et c’est une femme forte : en 2019, à l’ère du mouvement #MeToo, elle a causé une onde de choc en devenant l’une des plus importantes figures du monde politique à confier avoir été victime de viol.) Sortie de nulle part en 2014, elle a d’abord remporté l’investiture républicaine devant quatre autres candidats avec près de 60 % des voix, puis a défait un politicien de carrière qui en était à son quatrième mandat au Congrès lors de l’élection générale, avant de devenir la toute première femme de l’Iowa élue au Sénat. Et Joni Ernst a vite fait tourner les têtes.
Amatrice de Harley-Davidson, n’hésitant pas à s’afficher en manteau de cuir, à professer son amour du deuxième amendement (le droit de porter des armes) et sa volonté de faire « couiner » les politiciens dépensiers de Washington comme les cochons qu’elle castrait plus jeune à la ferme, Joni Ernst a vite gagné la faveur de l’aile populiste du Parti républicain. Législatrice sérieuse et communicatrice disciplinée, elle a rapidement été appuyée par l’establishment républicain, notamment par l’ex-candidat présidentiel Mitt Romney. Dans un parti fracturé, elle représentait une rare figure susceptible d’unir les différentes factions.
À sa toute première année à Washington, Joni Ernst a été choisie pour livrer la réponse officielle de son parti au discours sur l’État de l’Union du président Obama. En 2016, elle a été interviewée pour devenir candidate vice-présidentielle républicaine. Autrement dit, jusqu’en 2020, le mot qui pouvait le mieux la décrire au sein du Parti républicain était le suivant : « star ».
Or, les déboires politiques de Donald Trump sont tels qu’ils menacent d’emporter Joni Ernst cette année dans ce que de plus en plus de stratèges, des deux côtés, voient comme une possible vague démocrate déferlant sur le pays.
Face à Joni Ernst, les démocrates ont opté pour Theresa Greenfield, une novice politique possédant encore moins d’expérience qu’en avait Joni Ernst lors de son élection en 2014. Il y a deux ans, elle s’inclinait dans une primaire pour un siège à la Chambre des représentants. Theresa Greenfield n’a, très franchement, rien de spectaculaire — hormis peut-être sa capacité, forgée par des origines tout aussi modestes que celles de sa rivale, à se rapprocher des gens ordinaires de son État.
En temps normal, cela n’aurait sans doute pas suffi pour donner un caractère compétitif à cette course. Or, le 3 novembre, c’est elle qui pourrait déterminer l’ampleur du tournant que prendront les États-Unis au cours des prochaines années.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.