Politicien peu inspirant, Joe Biden en nouveau président désigné a néanmoins prononcé un discours inspiré samedi soir à Wilmington — en même temps que si lourd de promesses de pacification et de progrès social qu’on a peine à croire qu’il arrivera à les réaliser. Un discours qu’il préparait au demeurant depuis bien 30 ans, pour avoir été si souvent candidat à l’investiture présidentielle du Parti démocrate. Biden a gagné l’élection en reconquérant de justesse le « mur bleu » du Midwest, signe éloquent de l’ambivalence de l’électorat et démonstration que le plus difficile, pardonnez le cliché, reste à faire : déboulonner le monument que Donald Trump a construit à la gloire de son personnage, déconstruire le grabuge qu’il a fait pendant quatre ans, rétablir la foi des Américains, toutes tendances confondues puisque le mal est généralisé, en leur vie démocratique.
Foi chancelante, s’il en est, comme une proportion non négligeable de ses adorateurs croit ce mauvais perdant qu’est M. Trump quand il leur dit, contre toute évidence, que la présidentielle a fait l’objet de fraudes massives. Comme si les États-Unis avaient le système électoral d’une république de bananes. Difficile d’imaginer symptôme plus inquiétant de la méfiance populaire à l’égard des institutions. À M. Biden et à sa colistière, Kamala Harris, de faire la preuve que le divertissement que représente M. Trump et la rancœur qu’il incarne ne sont pas un antidote à la crise démocratique, seulement un exutoire.
Vaste programme. Qui présente un niveau de difficulté d’autant plus élevé que le nouveau gouvernement entrera en fonction dans l’urgence pandémique. M. Biden promet de démanteler les politiques trumpistes en immigration, en fiscalité, en environnement, en droit du travail, etc. Une bonne partie de son élection repose sur la promesse de s’attaquer au problème historique du racisme systémique à l’égard des Noirs, dont une bonne partie de l’opinion blanche nie l’existence. Il a répété haut et fort samedi soir — devant un parterre de VUS klaxonnant, ce qui n’était pas sans ironie — qu’il allait réintégrer l’Accord de Paris et relancer la lutte contre les changements climatiques…
Le Sénat, s’il reste républicain — on le saura en janvier après les deux nouveaux scrutins sénatoriaux en Géorgie —, fera obstacle à son progressisme, bien entendu. Sans compter que M. Trump conservera, par ascendant sur le parti et sur ses fidèles électeurs, une puissante capacité de nuisance et de mobilisation, même hors de la Maison-Blanche.
M. Biden voudra d’emblée effacer l’influence trumpiste par décrets présidentiels. Soit. Mais cela ne suffira pas. Difficile à imaginer, mais M. Trump aura peu à peu gagné en finesse dans sa façon de déconstruire l’État. En matière de protection de l’environnement, le gouvernement républicain a imposé 163 reculs réglementaires et législatifs ; en immigration, quelque 400, décimant par une efficace politique nativiste le système d’accueil des réfugiés, entre autres. Ce qui sera fort difficile à défaire, d’autant que les tribunaux investis par plus de 200 nominations trumpistes feront le guet.
Du reste, si ledit trumpisme est là pour de bon, c’est aussi parce que le Parti républicain en est le terreau. Déréglementation, hausse des dépenses militaires, allégements fiscaux pour les riches : son ardeur populiste et anti-establishment n’a pas empêché M. Trump de se comporter en républicain bon teint, à la satisfaction de l’électorat traditionnel du parti.
Quelqu’un de mieux que Donald Trump arrive au pouvoir, et il ne s’agit certainement pas ici de bouder notre plaisir. Au moins, l’extrême droite n’aura plus ses entrées à la Maison-Blanche. Et le discours présidentiel ne passera plus par l’instrumentalisation des préjugés raciaux. Apparatchik, M. Biden a malgré tout le mérite, pour avoir choisi Kamala Harris comme vice-présidente — et potentielle prochaine présidente — d’avoir saisi l’air du temps. Qu’il gouverne au centre est inévitable, mais qu’il le fasse, espérons-le, avec une certaine audace, de manière à rompre avec l’ultralibéralisme dont s’est rendu coupable le Parti démocrate depuis 30 ans, tant il est vrai que le rétablissement de la confiance des Américains en leur démocratie se jouera avant tout sur le terrain de la lutte contre l’inégalité. Le vote des jeunes (18-29 ans) a pesé lourd dans la victoire de M. Biden. Il ne faudrait pas non plus les trahir.
Le défi est à la mesure de la participation électorale record. Il est américain et il est international, comme cette présidentielle est aussi une riposte, fragile mais sonore, aux populistes autoritaires qui saturent l’espace aux quatre coins du monde.
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