Kabul: Saigon 2.0

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Si le parallèle entre le retrait américain d’Afghanistan et la chute du Sud-Vietnam est justifié, la situation actuelle porte encore plus atteinte à la crédibilité des Etats-Unis

Posé sur le toit de l’immeuble, l’hélicoptère paraît bien trop petit pour tous ceux qui veulent y embarquer. Un membre de l’équipage gesticule aux civils en contrebas. Nous sommes le 29 avril 1975, Saigon est sur le point de tomber aux mains des forces nord-vietnamiennes. L’opération «Frequent Wind» permet l’évacuation en catastrophe de 7000 Américains et Vietnamiens.

Quarante-six ans plus tard, le souvenir de cette déroute ressurgit à l’évocation du sort de Kaboul. Selon les analystes les plus optimistes, la capitale afghane pourrait tenir quelques mois. Les plus pessimistes tablent sur trente jours. Les talibans hisseront-ils leur drapeau sur la ville avant la 20e commémoration des attentats qui avaient entraîné l’invasion du pays? Seront-ils à nouveau au pouvoir, eux qui, il y a deux décennies, avaient abrité les cerveaux d’Al-Qaida? «Vous ne verrez pas des gens évacués depuis un toit», a promis Joe Biden. Car de nombreuses voix s’inquiètent d’une réédition de la débandade de Saigon. Et si Kaboul devait tomber, ce serait encore plus dommageable pour la crédibilité des Etats-Unis.

Lassitude américaine

La chute de la capitale du Sud-Vietnam a eu lieu plus de deux ans après les accords de Paris qui avaient officiellement mis fin au conflit. Aujourd’hui, les derniers soldats américains n’ont même pas encore tourné les talons que, déjà, leurs ennemis menacent les dernières poches en mains gouvernementales. Si les combattants islamistes n’ont pas besoin d’attendre que les Etats-Unis aient retiré leurs troupes pour passer à l’action, c’est qu’ils savent la lassitude des Américains pour la guerre, depuis le conflit vietnamien. Une puissance jusqu’alors invaincue y avait découvert le goût de la défaite. Depuis lors, de la Somalie à l’Irak, elle n’a jamais su gagner la paix.

Si le retrait d’Afghanistan était bel et bien inévitable, ses modalités interrogent profondément. L’accord conclu l’an dernier entre Washington et les talibans ne vaut même plus le papier sur lequel il a été signé. Or il était de la responsabilité de Joe Biden de partir de façon ordonnée. Si nous parvenaient bientôt des images d’exécutions en place publique, ou si des groupes terroristes se servaient à nouveau de ce pays comme d’une base arrière pour commettre des attentats en Occident, à quoi auraient servi ces vingt années? Aveuglés par le souvenir de leur propre puissance, les Etats-Unis et leurs alliés ont combattu sans trouver d’issue. Le prix de cette absence de stratégie, les habitants de Kaboul devront désormais le payer.

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