Dans quel état se présentera Joe Biden à la cruciale COP26 sur le climat qui s’ouvre dimanche à Glasgow, en Écosse ? Dans le piteux état d’un président menotté par une démocratie américaine défaillante. Ce n’est pas, loin de là, le strict succès de sa présidence qui se joue autour de l’adoption de ses plans de dépenses sociales et environnementales, connus sous le nom de Build Back Better (BBB). Pèsent très lourd dans la balance les conséquences de ses déboires sur le creusement des inégalités aux États-Unis et sur l’urgence planétaire que présente le réchauffement climatique.
« Nous devons prouver que la démocratie fonctionne toujours. Que notre gouvernement fonctionne toujours et qu’il est au service du peuple », avait-il déclaré lors de sa première adresse présidentielle devant le Congrès, en avril dernier.
C’est mal parti.
Il y avait espoir qu’à s’appuyer sur ses — petites — majorités au Sénat et à la Chambre des représentants, Biden saurait au moins en partie rendre à la vie politique une certaine santé, en dépit de l’opposition ultrapartisane des républicains et de la procédurite qui grippe les travaux du Congrès. Mais voici que les démocrates, dont la majorité des élus appuient pourtant la volonté « transformationnelle » affichée par le président, présentent le spectacle d’un parti pris en otage par deux de ses sénateurs, celui de la Virginie-Occidentale, Joe Manchin, et celle de l’Arizona, Kyrsten Sinema. Ce qui n’est pas sans démobiliser une partie de l’électorat démocrate. L’élection-baromètre au poste de gouverneur qui a lieu mardi prochain en Virginie le mesurera.
D’où cette question : disposant de majorités qu’ils risquent de perdre aux élections de mi-mandat de 2022, les démocrates arriveront-ils à ne pas se tirer une balle dans le pied ?
De revers, on peut déjà parler. Et ce n’est pas l’accord bipartisan scellé autour du volet du BBB sur la rénovation tous azimuts des infrastructures (routes, ponts, eau potable, etc.) qui le fera oublier. S’agissant de l’autre grand volet du plan, qui est aussi le plus courageux (élargissement du filet social et lutte contre les changements climatiques), il est déjà entendu que les grandes ambitions réformatrices et redistributives promues par un Joe Biden nouvellement progressiste seront considérablement affadies. Lire : réduites de moitié. Des engagements phares (congés parentaux et médicaux payés, diminution du prix des médicaments, etc.) passent à la trappe, d’autres sont élagués, notamment en éducation. Encore qu’à hauteur de 1750 milliards $US sur une décennie, l’effort réformateur reste appréciable, à défaut d’être suffisant.
M. Biden n’aurait forcément pas ces ennuis si la majorité démocrate au Sénat n’était qu’un peu plus solide. Le fait est que les convulsions démocrates sont moins le résultat d’un affrontement entre progressistes et modérés au sein du parti que celui de l’obstruction intéressée de Manchin et de Sinema, qui se trouvent ainsi à servir les intérêts de républicains ne demandant pas mieux que de laisser les démocrates s’entre-déchirer. L’un et l’autre campent à droite en ce qu’ils sont par principe réfractaires à l’idée d’augmenter les impôts des grandes entreprises et des « super-riches » afin de financer au moins en partie les réformes. Ce qui place Biden devant une équation typique de la culture capitaliste américaine, d’autant plus compliquée à résoudre que le contexte en est un de reprise économique précaire et de crise pandémique hyperpolitisée par les républicains.
Non content de confondre programmes sociaux et philanthropie, au lieu d’y voir des instruments de progrès collectif et de réduction des inégalités, M. Manchin constitue par ailleurs l’un des opposants les plus sonores aux mesures mises en avant par la Maison-Blanche pour accélérer la transition énergétique, des mesures qu’appuie la majorité du caucus démocrate. Il aura réussi à faire abroger la mesure environnementale la plus importante mise en avant par la présidence : un programme de 150 milliards destiné à terme à remplacer les centrales au gaz et au charbon par des systèmes de production d’énergie solaire et éolienne.
Tout s’explique : démocrate conservateur dans un État qui a voté pour Donald Trump en 2016 et 2020, M. Manchin est parmi les siens un cheval de Troie qui défend l’industrie du charbon de son État. Qu’importe si la consommation de charbon, de pétrole et de gaz constitue la principale source de gaz carbonique à l’échelle mondiale. Et si les États-Unis sont, après la Chine, le principal émetteur de CO2.
La nouvelle version du plan de dépenses n’épuise pas pour autant les dissensions intradémocrates. L’aile gauche du parti est à juste titre en colère. En partance jeudi pour un sommet du G20 à Rome, d’où il se rendra à Glasgow dimanche, le président tentait de faire bonne figure en se félicitant d’avoir arraché un « compromis » aux dimensions « historiques ». Ce qui laisse dubitatif, comme il avait jugé essentiel, au départ, d’en faire bien plus.
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