Elections américaines : pourquoi Joe Biden mise sur sa politique de l’emploi
PASSIONS AMÉRICAINES. Soutien des syndicats, le président démocrate, qui brigue en second mandat à la Maison-Blanche en 2024, parie sur l’apprentissage et les promesses des « green jobs » pour renforcer sa popularité auprès des travailleurs blancs peu diplômés, décrypte la politiste Marie-Cécile Naves.
L’économie américaine continue de créer des emplois (336 000 en septembre, un record depuis janvier 2023) et voit son taux de chômage stabilisé à moins de 4 % depuis bientôt deux ans. Ce n’est pas l’industrie qui en bénéficie le plus sur le court terme, mais les secteurs des services, du loisir, du soin et de l’éducation. Cette bonne santé de l’emploi américain, bien que l’inflation diminue la demande, ce qui limite l’embauche, permet aux salariés d’exiger des augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail.
Premier président à se rendre sur un piquet de grève, fin septembre dans le Michigan, auprès de représentants syndicaux de l’automobile, Joe Biden, qui a bâti une grande partie de sa carrière politique sur ses qualités de négociateur, n’a cessé depuis son élection de rappeler son soutien aux syndicats. C’est une différence majeure avec son prédécesseur et à ce jour principal rival pour l’élection de 2024, Donald Trump, qui considère les corps intermédiaires comme une menace.
Si la capacité d’action du président des Etats-Unis sur le fonctionnement de l’économie est souvent surestimée, tant celui-ci dépend de multiples facteurs notamment internationaux, l’impulsion donnée par les choix politiques de l’exécutif et les lois votées ont un effet sur la confiance des dirigeants d’entreprise, des investisseurs et des salariés – qui sont par ailleurs des électeurs et des électrices.
Favoriser l’emploi des actifs pas ou peu qualifiés
La prochaine présidentielle pourrait bien, une nouvelle fois, se jouer à quelques milliers de voix dans une poignée d’Etats fédérés dont la sociologie électorale met en évidence une coupure entre les zones rurales dépourvues d’activités économiques d’avenir, d’une part, et les grandes villes et leurs banlieues résidentielles, de l’autre.
Le fait de posséder, ou non, un diplôme du supérieur et le sexe constituent deux autres marqueurs forts du vote républicain ou démocrate (l’abstention étant par ailleurs élevée chez les non-diplômés du supérieur et chez les plus démunis, les deux groupes n’étant pas superposables). Or Biden souhaite renforcer sa popularité auprès des hommes blancs sans diplôme universitaire.
C’est pourquoi les mesures visant à favoriser l’emploi des actifs pas ou peu qualifiés contenues dans les grandes réformes économiques depuis 2021 en ont fait une cible privilégiée – bien qu’elles ne s’adressent évidemment pas qu’à eux. Biden, qui cherche également des solutions pour baisser la dette étudiante – laquelle grève considérablement la croissance du pays –, mise donc sur la formation tout au long de la vie.
En permettant de combiner cours et rémunération, l’apprentissage est un levier clé pour répondre aux besoins en main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs de la construction ou de la rénovation de routes et de ponts (actées par la loi sur les infrastructures), et dans le grand plan pour l’industrie verte (Inflation Reduction Act) et les nouvelles générations de semi-conducteurs (Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors and Science Act, dite CHIPS Act).
Des centaines de millions de dollars de subventions fédérales sont débloquées, et complétées par des investissements privés, pour l’apprentissage. A titre d’exemple, la transformation du parc automobile américain en faveur de la voiture électrique (l’objectif est d’atteindre deux tiers de voitures neuves électriques d’ici à 2032, contre à peine 6 % aujourd’hui) est confrontée au double défi du manque de main-d’œuvre formée et de l’influence encore embryonnaire des syndicats dans ce secteur pour défendre les intérêts des salariés.
Reconnaître la valeur des emplois industriels
L’enjeu de communication est immense pour les démocrates : il leur faut convaincre que ces lois récemment votées sont susceptibles de créer, à terme, des millions d’emplois dans l’industrie et l’énergie vertes. Réciproquement, cette transformation de la production est une condition majeure pour atteindre les objectifs écologiques de l’administration Biden. Or jusqu’ici les green jobs se retrouvent surtout chez les cols blancs (informatique, vente, marketing, etc.).
Accélérer (voire dans certains territoires produire) le cercle vertueux prendra du temps. Et l’on sait que le temps politique n’est pas le temps des réformes. On note, outre un gap social, un fossé générationnel avec l’enjeu de former des travailleurs de plus de 40 ans ; aujourd’hui, moins de 1 % des salariés quittant un dirty job (qualification utilisée pour désigner les emplois dans l’extraction d’énergies fossiles par exemple) en retrouvent un dans la green industry.
Pour finir, il est clair, une fois encore, que la question économique est inséparable de la question culturelle : ce n’est, en effet, pas seulement un sujet de création ou de maintien de postes. C’est aussi un enjeu de reconnaissance de la valeur des emplois industriels et manuels dans une société américaine valorisant, dans une concurrence internationale exacerbée, le « buy American ». Ce dont le président en exercice a parfaitement conscience.
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