American Primaries: Five Scenarios and a Ruined Wasteland

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Lauric Henneton détaille les cinq scénarios possibles qui pourraient clore la campagne des primaires américaines. Dans tous les cas, il voit un paysage politique sinistré.

Politiquement, les Etats-Unis sont un champ de ruines. La campagne des primaires s’éternise, dans les deux camps, et la lassitude s’installe. Une lassitude qui le dispute à la désillusion, voire à l’épuisement. En effet il apparaît de plus en plus clairement que les électeurs ne veulent d’aucun des candidats encore en lice. Un sondage pour NBC et le Wall Street Journal a récemment montré qu’environ un Américain sur six ne se voit pas voter pour Hillary Clinton ou Ted Cruz et près d’un sur sept ne se voit pas voter pour Donald Trump. Bernie Sanders s’en sort un peu moins mal: seuls 48% des sondés ne se voient pas voter pour lui (contre 49%).

Une telle indécision est rare, notamment quand elle concerne les deux camps en même temps. Elle est dommageable pour plusieurs raisons: d’abord parce que le temps passé à se départager au sein de son parti est du temps que l’on ne consacre pas à élaborer une stratégie nationale. Sans parler des ressources dont le vainqueur ne disposera plus quand il s’agira de s’attaquer à l’autre camp. Aussi et peut-être surtout parce que la prolongation inédite de ces deux primaires perturbe la temporalité habituelle de l’ensemble du processus. Certes, en 2008, il avait fallu attendre début juin pour que Hillary Clinton finisse par jeter l’éponge et se rallier à la bannière d’Obama. Mais les Républicains avaient leur candidat (John McCain) depuis début mars – ce qui n’a pas empêché Obama de battre McCain en novembre. Cependant, la saturation n’était pas la même avec une seule primaire encore en jeu. Et cette année les conventions ont lieu en juillet et non fin août, ce qui fournissait une respiration bienvenue entre le temps des primaires (janvier-mars généralement) et le temps de la campagne à proprement parler (août-novembre). La pause risque d’être courte, entre juin (la primaire de Californie) et la convention Républicaine à Cleveland du 18 au 21 juillet. Et la saturation pourrait nuire à la mobilisation, pourtant essentielle, notamment du côté démocrate.

La principale question du côté démocrate est de savoir quand Bernie Sanders va abandonner, ce qu’il ne semble pas décidé à faire. Côté Républicain, il est statistiquement peu probable (mais pas totalement exclu) que Donald Trump réussisse à obtenir les 1237 délégués nécessaires à l’obtention de l’investiture. L’autre question concerne le désistement éventuel de John Kasich, qui ne décolle pas de sa troisième place, et que les partisans de Cruz accusent de diviser le vote «anti-Trump». Pourtant, il n’est pas certain que les reports de voix de Kasich vers Cruz soient systématiques: les électeurs de Kasich sont bien plus modérés et bien moins évangéliques que ceux de Cruz.

Il est donc probable que du côté Républicain au moins, on se dirige vers une convention contestée, chargée de déterminer qui représentera le Grand Old Party en novembre. Cinq scénarios se dégagent:

1)Donald Trump l’emporte: très peu probable, la principale règle de la convention est la majorité absolue. Peu importe le nombre de tours de scrutin, il faut qu’une majorité se dégage. Trump est-il plus légitime du simple fait qu’il arrive en tête? Les règles de la convention sont claires: une majorité relative n’apporte aucun privilège. Ainsi, Abraham Lincoln en 1860 n’était pas premier au début de la convention et il fut pourtant candidat (et président). A l’inverse, Ronald Reagan était en tête en 1976 mais il finit par être battu par Gerald Ford et se rallia à lui, sans regimber. Pour l’instant il est très improbable que suffisamment de délégués soutenant Cruz ou Kasich se reportent sur Trump.

2)Un ticket Cruz-Kasich: Il est moins improbable en revanche que les délégués pro-Kasich se reportent sur Cruz en se pinçant le nez pour faire barrage à Trump, même si leurs électeurs sont vraiment différents. La désignation d’un vice-président moins conservateur (comme Kasich) pourrait être une solution de compromis. Dans ce scénario, Trump, fair play, accepte la règle majoritaire, comme Reagan en 1976. Il est alors fort probable que nombre de ses électeurs restent chez eux en novembre, se sentant trahis.

3)Trump en solo: On peut évidemment imaginer un scénario où Trump est battu, n’accepte pas la situation, crie au déni de démocratie (il a eu plus de délégués et plus de suffrages pendant la période de la primaire, après tout) et décide de se présenter comme candidat indépendant. La configuration ressemblerait alors à celle de 1992, avec Trump dans le rôle du milliardaire texan Ross Perot, qui avait siphonné une partie des voix de Bush et avait ainsi aidé Bill Clinton à l’emporter. Etrange hoquet de l’histoire, si un milliardaire, candidat indépendant, fait élire non plus un mais une Clinton.

4)Un candidat extérieur (Nikki Haley?): il n’est pas impossible, mais assez improbable, que les Républicains essaient de trouver un candidat providentiel qui ne soit pas un des trois finalistes. Paul Ryan, le speaker de la Chambre des représentants et colistier de Mitt Romney en 2012, un temps pressenti, a décliné l’invitation. Nikki Haley, gouverneur très populaire de Caroline du Sud, pourrait alors jouer la carte féminine, mais elle n’a pas participé aux primaires, elle a apporté son soutien à Marco Rubio, ce qui n’a pas été décisif. Nombre d’observateurs lui prédisent un bel avenir politique, mais elle pourrait plutôt prétendre à un poste de colistière, à ce stade de sa carrière.

5)Là encore, deux sous-scénarios se dessinent, avec et sans Trump comme candidat indépendant. Le seul scénario qui semble – théoriquement – exclu est celui du recours à un candidat «frais» déjà battu au cours des primaires: Marco Rubio, Jeb Bush, Scott Walker. En revanche, l’un d’eux pourrait devenir colistier de Cruz ou (plus improbable) de Kasich.

En réalité, la seule certitude demeure l’incertitude la plus totale.

Dans tous les cas de figure, le Parti républicain essaiera de sauver les apparences au détriment d’un groupe d’électeurs pro-Trump qui se sentiront trahis par l’establishment. Mais au fond, la conséquence pourrait être également l’affaiblissement des candidats républicains au Congrès (un tiers des sénateurs est renouvelé et l’ensemble de la Chambre, pour deux ans). Pour les Républicains, le Congrès reste une variable essentielle, car en cas de défaite à la présidentielle, ce qui reste possible avec une candidature de Clinton et paradoxalement probable si le candidat démocrate est Sanders, le Congrès serait le lieu de la résistance, comme c’est le cas depuis 2010. Obama est certes président depuis sept ans, mais il fait face à un Congrès particulièrement hostile depuis cinq ans, et son action en tant que président a été considérablement amoindrie du fait de l’obstruction systématique d’un Congrès volontiers jusqu’au-boutiste. Pour les Républicains, perdre la présidence mais conserver le Congrès serait un moindre mal. Pour les Démocrates, emporter la Maison-Blanche, mais devoir composer avec un Congrès hostile serait une victoire à la Pyrrhus.

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