N’en déplaise à George W. Bush et à John McCain, le candidat républicain à sa succession, il n’y aura pas de danse de la victoire autour de l’Irak avant l’élection américaine de novembre. En un peu plus de cinq années de sanglants combats et de cruelles désillusions, les commandants de l’US Army ont appris la prudence. Même à ce stade d’un conflit qui est loin d’être terminé, mais dont l’intensité a diminué, et même en dépit des incontestables succès que sa stratégie, doublée d’une bonne dose de chance, a pu produire sur le terrain, le général David L. Petraeus se refuse à prononcer le mot fatal : “Je ne sais pas si l’on pourra jamais parler d’une victoire en Irak”, répétait-il ces derniers jours à tous ses interlocuteurs.
Après dix-neuf mois de commandement suprême en Irak, le général, dit “le réparateur”, s’en va essayer de rafistoler l’autre mission guerrière en déshérence lancée par l’Amérique en Afghanistan. Nommé patron du CentCom, le quartier général de toutes les forces américaines au Moyen-Orient et en Asie, le “général intello”, comme l’appellent les bureaucrates du Pentagone, a transmis le 16 septembre son bâton de commandement en Irak à son second, le général Raymond Odierno.
Robert Gates, le secrétaire à la défense, a évoqué “l’entrée” de l’Amérique “dans la fin de partie” en Irak, et présenté Petraeus comme “le héros du jour, qui a joué un rôle historique”. Pas sûr que l’intéressé, pas plus modeste qu’un autre pourtant, ait apprécié tout le discours. “Nous avons fait beaucoup de progrès significatifs, oui, confiait-il à la BBC avant son départ, mais tout cela est encore fragile, réversible, d’autres dangers guettent l’Irak.”
Les progrès, chacun les ressent sur le terrain. Entre la mi-2005 et le début 2007, de deux à trois mille civils irakiens étaient tués chaque mois dans les deux guerres, liées et concomitantes, qui ensanglantaient le pays. Moins de 500 victimes par mois cette année. Aujourd’hui, la première guerre – la révolte de la minorité arabe sunnite (20 % de la population) contre l’invasion étrangère – est pratiquement terminée. Les forces américaines et leurs alliés irakiens, qui enregistraient jusqu’à 3 000 attaques par semaine en 2005 et 2006, n’en comptaient plus “que” 800 à l’automne 2007, moins de 400 cette année. Plusieurs groupes armés constitués de soldats perdus de l’ancien régime, démobilisés et privés de ressources par le premier proconsul américain à Bagdad dès avril 2003, se sont dissous. Certains ont été réintégrés dans les nouvelles “forces nationales”, qui comptent plus d’un demi-million d’hommes, armée et police incluses.
La seconde guerre, civile celle-là, que les quelques milliers d’obscurantistes affiliés à Al-Qaida en Irak se sont efforcés avec succès de déclencher à grands coups d’attentats meurtriers contre la majorité chiite (60 % de la population), n’est pas finie. Plus de soixante personnes ont récemment été tuées dans une série d’attentats-suicides. “Leur capacité meurtrière a été grandement réduite, note Petraeus, mais ils peuvent encore frapper.” D’autant que, contrairement à ce que la propagande de Washington prétendait, la quasi-totalité de ces djihadistes sont irakiens. L’offensive lancée il y a quelques mois dans le nord de l’Irak contre ce que le premier ministre, Nouri Al-Maliki, appelle “les dernières concentrations terroristes” continue, avec des hauts et des bas.
Mais il ne fait pas de doute que la grande majorité des Arabes sunnites, qui ont également perdu ce qu’on a appelé la “bataille de Bagdad” pour le contrôle des quartiers de la capitale – à présent dominés aux trois quarts par les chiites -, ne les soutient plus. Parti de la province tribale d’Al-Anbar dès l’hiver 2006, le “réveil” des tribus sunnites, excédées par les crimes et les prétentions djihadistes à tout régenter, s’est progressivement étendu à toutes leurs zones d’habitation.
“RIEN N’EST ENCORE ACQUIS”
Le coup de génie de Petraeus fut d'”exploiter l’opportunité” constituée par cette révolte, de l’entretenir et de l’étendre. Aujourd’hui, 109 000 miliciens, baptisés “Les Fils de l’Irak”, essentiellement sunnites, souvent ex-rebelles, sont rémunérés 300 dollars par mois par le Pentagone pour lutter contre Al-Qaida et maintenir l’ordre dans leurs districts, y compris à Bagdad. On épiloguera longtemps à Washington sur le point de savoir si c’est le surge, “l’effort” de l’armée, brusquement renforcée de 30 000 hommes à partir du printemps 2007 pour porter le contingent à 165 000 soldats, qui a amélioré la situation sécuritaire.
Disons, comme le général Odierno, que “sans les renforts” il n’est pas certain que le “réveil sunnite” se serait étendu aussi vite et puissamment. On peut aussi parier que sans ce “réveil”, sans la nouvelle tactique de Petraeus, qui a consisté à obliger ses soldats à vivre jour et nuit parmi les civils irakiens dans les zones troublées – avant lui, ils rentraient dans leurs bases à la nuit tombée -, les 30 000 renforts auraient changé quoi que ce soit. Révélée début septembre par Bob Woodward, du Washington Post, la très secrète campagne d’assassinats et d’enlèvements ciblés, conduite depuis 2007 par des unités spéciales dotées de moyens techniques “sans précédent”, aurait permis d'”éliminer des centaines d’activistes armés.”
Enfin, et le “général intello” l’admet volontiers, le cessez-le-feu surprise de la plus puissante milice chiite du pays, l’Armée du Mahdi, ordonné à l’été 2007 par son fondateur, le prêcheur radical antiaméricain, Moqtada Al-Sadr, a également joué un rôle “important” dans l’amélioration de la situation. En représailles aux barbaries antichiites d’Al-Qaida, l’Armée du Mahdi s’était à son tour livrée à des massacres quotidiens de civils sunnites. “Pour la délégitimer auprès des chiites, a expliqué Nouri Al-Maliki, il fallait d’abord s’en prendre aux terroristes d’Al-Qaida.” Ce qui fut fait. A présent, sur pression de Téhéran, qui soutient lui aussi le gouvernement en place à Bagdad, Moqtada Al-Sadr, réfugié à Qom, ordonne la transformation de sa milice en mouvement “social et culturel”.
La guerre en Irak vit un tournant. Celle d’Afghanistan aussi, mais dans l’autre sens. Ni Petraeus ni son successeur ne veulent trop dégarnir la première au bénéfice de la seconde. Huit mille soldats seulement seront rapatriés d’Irak d’ici à février 2009. Il en restera 146 000 en place jusqu’à nouvel ordre. Pourquoi ? “Parce que rien n’est encore acquis, dit le général, parce que la réconciliation interirakienne n’est pas enracinée, parce que des décisions politiques doivent encore être prises qui peuvent rallumer des conflits.”
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