America, Disheartened

<--

Une Amérique découragée

Est-ce une malédiction qui s’abattrait, à la mi-temps de leur mandat, sur les dirigeants portés aux responsabilités par des vagues d’espérance populaire ? Et la disgrâce qui les frappe est d’autant plus sévère que les aspirations à plus de justice sociale avaient été fortes. Barack Obama n’échappe pas au désamour d’un électorat qui le boude, à l’heure du premier verdict électoral à l’échelle de l’Union, deux ans après son élection à la Maison-Blanche. Selon l’amplitude de l’échec annoncé, le président s’apprêtera à vivre des heures plus ou moins difficiles pour la seconde partie de son mandat quadriennal. Celui-ci peut encore s’achever sur un bilan respectable, suffisamment en tout cas pour être renouvelé. Mais Obama peut tout aussi bien voir son action paralysée, être bousculé en permanence par le Parti républicain revigoré, devenu majoritaire à la Chambre des représentants, dans un climat de haine attisé par une droite extrême qui veut ressusciter, à l’époque de l’ultralibéralisme mondialisé, le fantôme de McCarthy et réactiver les réflexes du bon vieux temps du Klu Klux Klan.

Il n’y a évidemment aucune malédiction, aucun jeteur de sort, en politique. Mais des pièges qui se referment vite sur quiconque n’a su les éviter ou a cru les contourner. Ce qui est vrai aux États-Unis l’est également à une échelle plus générale. L’inconstance en politique, le renoncement à affronter les obstacles dressés par les forces politiques et économiques hostiles au progrès social, bref conduire une gestion timorée après avoir fait naître l’enthousiasme des plus pauvres et l’avoir transformé en force conquérente, conduit inexorablement au découragement des électeurs. Et les principaux bénéficiaires sont ceux qui ont été chassés du pouvoir quatre ans auparavant, 
et qui feront pire.

Obama avait mené campagne en 2008 sur le combat contre les discriminations de toutes sortes (couleur de peau, origines géographiques, inégalité devant l’accès aux soins et aux prestations sociales avec l’instauration d’une assurance maladie). Sur le plan international, il est apparu à bien des égards comme l’anti-Bush, jetant aux oubliettes de l’histoire les thèmes de « la guerre des civilisation », les mensonges proférés à l’ONU pour entraîner le monde dans la guerre contre l’Irak.

Le projet politique qu’il avait exprimé avec force dans son discours de Philadelphie lors de la campagne électorale contre le républicain McCain a, galvanisé cette Amérique perdante dans le jeu du chacun pour soi. Les citoyens afro-américains, les Latinos, la jeunesse ont répercuté ce mot d’ordre volontaire « Yes we can ! ». Sans pour autant renoncer en aucune manière à la volonté de leadership d’une hyperpuissance dans un monde unipolaire, Obama a néanmoins présenté une autre image de celle brutale, agressive, bornée, incarnée par Bush et les tortionnaires de Guantanamo et d’Abou Ghraib. Mais pour avoir réduit ses ambitions sur le système de santé, cédant ainsi aux lobbys capitalistes, Obama a déçu celles et ceux qui attendaient plus de la réforme. La droite n’a pas hésité à présenter le chef de la Maison-Blanche comme un socialiste ou un communiste. Face aux attaques, il n’a pas invité les Américains à débattre, à défendre ses projets. « Yes we can ! » se mit à sonner creux. Reste au président l’espoir d’un sursaut des électeurs et à souhaiter qu’ils seront suffisamment nombreux pour s’opposer au danger d’une droite populiste, plus dure que jamais.

Conduire une gestion timorée après avoir fait naître l’enthousiasme des plus pauvres conduit inexorablement au découragement des électeurs.

Jean-Paul Piérot

About this publication