L’Amérique aime à se faire peur. Après la menace avortée du « shutdown », c’est la spirale de la dette fédérale qui fait frissonner les marchés. Autrement plus sérieux. Même si elle n’est pas sans précédent – Moody’s l’avait déjà fait sous l’administration Clinton en 1996 -, la mise sous surveillance négative de la note triple A américaine par Standard & Poor’s n’est pas à prendre à la légère. Non que la perspective d’un déclassement soit forcément acquise. Mais le signal revient déjà à contester l’incontestable : le dogme de l’infaillibilité de la signature américaine. Surtout, ce coup de semonce intervient moins d’une semaine après l’annonce du virage antidéficit de Barack Obama, considéré comme un tournant majeur dans son premier mandat. Cela revient à poser la question de la crédibilité de son plan de réduction de la dette, au centre de la campagne pour 2012.
« L’ère du “big government”est révolue », avait lancé Bill Clinton, le 27 janvier 1996, après avoir déjà réduit de moitié le déficit public américain en trois ans. « Le Congrès devrait agir de manière responsable et cesser de jouer avec la réputation de l’Amérique », ajoutait-il en fustigeant les hésitations des élus à voter le relèvement du plafond de la dette fédérale américaine. Le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, ne dit pas autre chose aujourd’hui. L’histoire se répète. A ceci près que le niveau de la dette a été multiplié par trois en quinze ans (de 4.900 milliards à 14.300 milliards de dollars aujourd’hui). A sa manière, Barack Obama a lui aussi décrété l’heure des « sacrifices » en proposant, le 13 avril, un plan d’économies de 4.000 milliards de dollars sur douze ans en vue de ramener le déficit fédéral (9,8 % du PIB en 2011) à un niveau acceptable. « Au bout du compte, l’augmentation de la dette nous coûtera des emplois et abîmera notre économie », a lancé le président américain en rappelant que, au rythme actuel, le seul service des intérêts de la dette pourrait atteindre 1.000 milliards de dollars en 2020. Après avoir évité de justesse le « shutdown » (la cessation des services administratifs), Barack Obama, le « médiateur en chef », se place en garant de l’orthodoxie budgétaire, dans la foulée de l’annonce de sa candidature à un deuxième mandat. Mais il aura fallu qu’un jeune loup du Parti républicain, Paul Ryan, président du comité budgétaire de la Chambre des représentants, dévoile son propre plan « ambitieux » de réduction massive du déficit, début avril, pour qu’il se décide à contre-attaquer sur le terrain de la lutte contre la dette.
« Il faut remettre en ordre notre maison fiscale », martèle-t-on désormais des deux côtés du Congrès. L’ennui c’est que Standard & Poor’s reste relativement sceptique quant aux chances d’un accord sur la mise en oeuvre effective des coupes budgétaires avant 2013. Selon Edouard Tétreau, auteur d’un essai remarqué sur la dette américaine (1), la décision de Standard & Poor’s pourrait se révéler un « formidable piège » pour les républicains en les forçant à composer sur la lutte contre le déficit et en les privant ipso facto de leur principal cheval de bataille électoral. Mais le coup de semonce renforce aussi la pression sur l’administration Obama afin qu’elle mette en oeuvre un plan agressif de réduction du déficit avant même l’élection présidentielle de novembre 2012.
A quinze ans d’intervalle, le spectre de la dette resurgit donc dans la vie politique américaine. Sauf que la situation est encore plus tendue aujourd’hui. Obama fait du Clinton, mais cette fois-ci sans filet. Selon les calculs de Standard & Poor’s, le niveau de la dette fédérale américaine pourrait monter à 90 % du PIB en 2013, contre 65 % aujourd’hui. Il y a sans doute dans le plan Obama annoncé le 13 avril une bonne dose de tactique électorale inspirée du tournant centriste de Bill Clinton en 1996. Amadouer l’électeur indépendant sans traumatiser l’aile gauche du parti. C’est pourquoi Barack Obama insiste aujourd’hui sur la fin des allégements fiscaux pour les hauts revenus – « Warren Buffett n’a pas besoin d’une autre baisse d’impôt » -après avoir consenti, en décembre, à… reconduire ces allégements fiscaux hérités de George W. Bush jusqu’à fin 2012 ! Tout est dans le « timing ». Pour justifier ces ajustements, Barack Obama explique qu’il lui faut « user d’un scalpel et non d’une machette » afin de ne pas compromettre la reprise naissante. Il lui faut couper dans les coûts du système de santé, qui reste l’une des principales sources du déficit cumulé américain, sans remettre en cause les « acquis fondamentaux » des programmes d’assurance Medicare et Medicaid. Sur le papier, son plan d’économies de 4.000 milliards de dollars sur douze ans (dont 1.000 milliards de hausses d’impôt) est plus réaliste et plus cohérent que le « plan Ryan » (mélange de baisses d’impôt et de coupes drastiques). Mais il reste flou sur la question cruciale de l’explosion des dépenses de santé et de sécurité sociale, au coeur de la dérive des déficits.
Longtemps, le « privilège exorbitant » du dollar aura permis à Washington de faire financer son déficit par les autres pays sans trop se soucier de sa dette. Ce temps est révolu, à en juger par les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI), selon lesquelles la dette publique brute américaine pourrait atteindre « 110 % du PIB d’ici à 2016 ». En préférant le scalpel à la machette, le chirurgien Obama prend le risque d’être rapidement rattrapé par le gong des agences de notation.
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