L’élimination d’Anouar al-Aulaqi, chef de la branche yéménite d’Al-Qaïda, et l’usage intensif des drones marque la volonté de Barack Obama d’envoyer un message à l’opinion publique. Un paradoxe pour le prix Nobel de la paix 2009.
Ce n’est pas être naïf que de s’étonner de voir le Prix Nobel de la paix 2009 légitimer, avec tant de secret et si peu de réserves, l’usage de drones “hunter-killer” (chasseurs tueurs). Le 30 septembre, l’élimination, sur le territoire national du Yémen, d’Anouar al-Aulaqi – chef de la branche yéménite d’Al-Qaïda – et de trois de ses associés marque en effet la volonté de Barack Obama d’envoyer un message à l’opinion publique comme aux ennemis des Etats-Unis: la lutte contre le terrorisme reste une guerre à part entière. C’est une réponse circonstanciée à tous ceux qui font campagne contre le futur candidat démocrate, en particulier parmi les républicains, en lui reprochant d’être trop “soft” face au danger islamiste.
Les assassinats ciblés interdits en temps de paix
Mais les faits sont têtus. Pour compliquer les données, il se trouve qu’Al-Aulaqi était citoyen américain, ainsi qu’un de ses comparses djihadistes, dont le caractère criminel, en tant que responsable d’un site Web, apparaît nettement moins évident. Moyennant quoi, le recours aux drones ne peut être juridiquement justifié qu’à la stricte condition de considérer que les Etats-Unis s’inscrivent dans le cadre d’un conflit armé en bonne et due forme. Car seuls les assassinats ciblés effectués en période de guerre ne contreviennent pas au décret présidentiel 12 333 (signé en 1981), qui interdit cette pratique en temps de paix. Sauf qu’Al-Aulaqi a été tué… au Yémen, qui, jusqu’à nouvel ordre, ne fait pas partie d’une zone de guerre.
Autant dire que l’orientation d’Obama, même si elle se révélait politiquement payante dans la perspective de sa réélection, soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout et comporte le risque d’une sinistre addiction. Certes, 62% des Américains approuvent sa riposte à la menace terroriste, mais, au cours de son mandat, le président démocrate a autorisé 255 tirs de drones sur le seul territoire du Pakistan, soit cinq fois plus que durant toute l’ère Bush. La technique elle-même n’est pas en cause: par leur caractère à la fois très fiable et parfaitement maîtrisable, les drones permettent de limiter le nombre de victimes collatérales – ce qu’un bombardement, même très ciblé, ne peut garantir (on l’a vu en Libye).
En revanche, leur emploi soulève une vague d’objections. Le calme et froid technicien qui guide cet appareil à partir du Nevada ou de la Virginie (où siège la CIA) doit-il être jugé plus innocent qu’un pilote de chasse crispé dans son cockpit – et, partant, quelle “loi de la guerre” lui appliquer? Le donneur d’ordres, en l’occurrence le président des Etats-Unis lui-même, peut-il être durablement exempté de tout questionnement? Par extrapolation, que rétorquer à des régimes autoritaires, on pense instantanément à la Russie ou à la Chine, qui se permettraient un jour la même liberté sur le territoire de leurs adversaires, Géorgie ou Taïwan, ou même sur leur propre sol, Tchétchénie ou Tibet? Rappelons qu’en 2006 le Parlement russe a autorisé le président à traquer les terroristes au-delà des frontières.
Le point le plus discutable relève du caractère secret, hautement confidentiel, de ces opérations; elles sont entièrement dirigées par la CIA. De l’élimination d’un adversaire militaire aux assassinats ciblés, il n’y a qu’un pas, ce qui requiert un minimum de contrôle de la décision. Le fait que le ministère américain de la Justice ait autorisé l’opération contre Al-Aulaqi au seul motif qu’elle était motivée par les services de renseignement, balayant ainsi d’un revers de main le décret présidentiel interdisant les assassinats ciblés, ouvre une brèche inquiétante. On est désormais en droit d’exiger que le recours aux drones échappe à la CIA et s’inscrive pleinement dans la chaîne de commandement des forces conventionnelles. Une fois encore, les performances “technologiques” des Etats-Unis ne peuvent pas s’accomplir au détriment des principes fondamentaux sur lesquels se fonde cette nation. Sous peine de nouveau Guantanamo.
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