Le 26 mai 1937, deux leaders syndicaux prennent la pose pour le photographe du « Detroit News » devant l’entrée des usines Ford. Ils étaient venus distribuer des tracts réclamant « du syndicalisme, pas du fordisme ». Une quarantaine de gros bras de la milice interne de Ford leur tombe dessus. Sous les yeux des journalistes, ils jettent les hommes à terre, les frappent, tentent de détruire les photos. L’une d’elle échappe au massacre et fait la une des journaux américains. Trois ans plus tard, Ford signe son premier accord avec l’UAW, tout jeune représentant des ouvriers américains de l’automobile. C’est ainsi, souvent à coups de poing, de revolver ou de batte de base-ball qu’ont commencé les premières négociations syndicales au pays du rêve industriel. C’est aussi après des affrontements d’une violence inouïe, qui laissaient parfois des morts sur le trottoir, et après une guerre mondiale, que s’est construit le pacte social américain. A partir des années 1950, il a assuré la prospérité d’une industrie et de ses employés.
C’est ce même pacte social que tente de reconstituer aujourd’hui l’UAW et les dirigeants de General Motors, Ford et Chrysler. Accusé d’être responsable de la perte de compétitivité des constructeurs nationaux à partir des années 1990 et de la faillite de deux d’entre eux il y a deux ans, le syndicat a accepté de revenir sur les avantages acquis par un demi-siècle de luttes. Les rémunérations d’embauche sont désormais un tiers de celles de 2005, mais les salariés ont obtenu des engagements en matière d’investissement industriel et d’emploi, ainsi qu’une participation aux bénéfices.
Avec plus de membres retraités qu’actifs, l’UAW n’est plus la puissance d’autrefois, mais elle reste la seule force constituée capable de négocier de tels accords. Comme Henry Ford, beaucoup de chefs d’entreprise rêvent encore d’un monde sans syndicats. Mais alors avec qui négocier le pacte social indispensable pour reconstruire une puissance industrielle ? Si l’Allemagne a réussi à conserver un socle solide dans ce domaine, elle le doit aussi à l’institutionnalisation des rapports de force entre employeurs et employés. Et pour cela, il faut des deux côtés des interlocuteurs puissants, disciplinés et responsables.
Bien sûr, cela ne remplacera pas de bons produits et un marché accueillant. Mais un climat social apaisé est un préalable indispensable quand les temps sont durs et que les sacrifices attendent au premier virage. Puisse la France s’en inspirer.
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