Depuis 2008, la « grande finance » a retrouvé ses profits mais la croissance, elle, reste en berne. Le secteur demeure un facteur d’instabilité pour l’économie. Il faut mieux le réguler, sans brider son inventivité.
Parmi les grandes interrogations sur le siècle qui s’ouvre, celle portant sur la finance, son rôle, sa taille, sa régulation, reste entière. Cinq ans après la faillite de Lehman Brothers, les gouvernements tâtonnent encore et les résultats sont peu satisfaisants. Le génie ne rentre pas dans la bouteille. François Hollande n’est pas seul à le dire. La finance reste considérée comme trop grande, opaque, moutonnière, mère des bulles et des crises, en clair dangereuse. La connaissance progresse néanmoins, qui dessine, tant bien que mal, ce qui pourrait être une « bonne » finance.
Seule véritable certitude : le sauvetage des banques au lendemain du 15 septembre 2008 a été le bon choix. L’opinion publique se trompe qui croit qu’« on a donné des milliards aux banquiers et rien aux salariés licenciés ». Parce que ne pas sauver les banques eût déclenché une dépression (la crise financière a été limitée à une récession) et parce que cet argent prêté au secteur financier a été, depuis, remboursé avec profit. Le programme d’aide américain (Troubled Asset Relief program – TARP) aura déboursé 421 milliards de dollars, somme qui a été récupérée à ce jour, selon des déclarations du Trésor cette semaine.
Mais, au-delà de cet argument négatif du « on a évité le pire », les dangers perdurent. La grande finance a retrouvé des grands profits, mais une saine et solide croissance économique n’est toujours pas là. Le secteur, dont des pans entiers demeurent fragiles, amène régulièrement des mauvaises surprises comme à Chypre. Plus la transparence se fait sur les banques officielles, plus prospèrent les opaques établissements du « shadow banking ». Et on découvre que le coeur du mécanisme de sauvetage, les facilités des banques centrales, provoque la volatilité des crédits et des valeurs dans les pays émergents et casse leur croissance. La finance demeure intrinsèquement un facteur d’instabilité pour l’économie mondiale.
La première explication avancée est la trop grande timidité des gouvernements, qui, de Washington à Londres ou Paris, seraient soumis au lobby des hyperbanques. La nouvelle régulation, déployée dans trois directions, reste trop laxiste. Les ratios de capital (appuyer la hauteur des prêts sur des fonds propres renforcés) ont été triplés avec les normes dites Bâle III.
Mais les banques s’en plaignent en plaidant que c’est restreindre leurs crédits aux entreprises. C’est faux dans les banques bien gérées (exemple, BNP Paribas, dont la masse de crédits augmente), mais l’argument porte auprès des autorités. Deuxième axe : la séparation des banques classiques et des banques d’investissement. Des lois sont en préparation, mais l’étanchéité des deux secteurs est loin d’être certaine car des doutes subsistent sur l’utilité et la faisabilité de cette politique. Dernier axe : construire des canots de sauvetage en cas de nouvelle faillite. Cette politique de « résolution » ne peut se traduire en Europe qu’au niveau communautaire, mais l’Allemagne traîne les pieds devant une union bancaire qui la chargerait d’une grosse part des pertes.
Il faudrait aller plus vite et plus fort, mais la volonté de régulation bute sur la théorie des jeux (la concurrence entre pays pousse les gouvernements à en faire moins) et sa contradiction interne : trop de régulation des banques officielles fait le lit du « shadow banking ».
L’autre explication des dangers persistants de la finance provient de l’excès de crédit, de son caractère procyclique, spéculatif, de cette propension à créer des bulles. Peut-on limiter cette euphorie autoréalisatrice des marchés qui fait agir les intervenants tous dans le même sens à la hausse puis brutalement à la baisse ? Dans une intervention très remarquée à la réunion des banquiers centraux fin août, à Jackson Hole, l’économiste Hélène Rey, de la London Business School, soulignait la force de ces grands mouvements des flux de capitaux mondiaux toujours ensemble et dans le même sens. Elle révèlait que la cause en est, pour partie, le dollar, la politique de refinancement laxiste de la Réserve fédérale, qui, arrosant les banques « globales » américaines pour les sauver, arrose le monde entier de liquidités pas chères. Les banques européennes qui se refinancent à la Fed servent de relais. Voilà qui prouve au passage combien nous restons, cinq ans après Lehman, dans un monde dollar.
Que faire ? Il ne faut pas attendre de la Fed qu’elle devienne la banque centrale du monde, dit Hélène Rey. Il faut donc corseter les flux procycliques tant au niveau national (ce qui renvoie à des régulations plus serrées) qu’au niveau international, le FMI retrouvant là un rôle de précepteur des bonnes politiques, voire de gendarme. Comme la liberté des changes (le flottement des monnaies) n’est pas la solution miracle décrite dans les manuels, une remise en question des bienfaits de la liberté des flux de capitaux ne doit pas être exclue. Le FMI lui-même a d’ailleurs reconnu qu’un contrôle des changes est parfois judicieux. « Les autorités en charge de la régulation macroprudentielle ont un rôle capital à jouer pour assurer la stabilité financière »,poursuit Hélène Rey, et elles doivent adopter des politiques qui s’attaquent à la source des excès de crédit, de façon à la fois plus forte et plus souple, en fonction du moment.
Sera-ce suffisant pour remettre le génie dans la bouteille ? Sûrement pas. Les économistes ont encore beaucoup de travail pour comprendre concrètement les réalités du monde financier. Le laisser-faire de l’orthodoxie libérale n’est plus de mise, mais il faudra encore beaucoup de recherches et d’expériences pour aboutir à une finance correspondant aux besoins du siècle, globale mais stable, inventive mais utile.
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