Panorama

Published in Le Devoir
(Canada) on 10 August 2015
by Jean-François Nadeau (link to originallink to original)
Translated from by Rachael Robinson. Edited by Danielle Tezcan.
In New Hampshire, at the foot of Mount Washington, a coal tycoon built an all-white luxury hotel in 1902. In summer, it is said that the hotel resembles a fragment of light casting itself at your eyes, like silent incandescence shooting towards the blue sky, rooted in the midst of miles of greenery.

On July 22, 1944, representatives from 45 countries gathered in the wooden hotel, set in the middle of a golf course carved out of the great forest in the mid-mountain region. There, just a few hours drive away from Montreal, the World Bank and the International Monetary Fund were born, two institutions now in their 70s, which are, nonetheless, still not very wise.

With the woes resulting from the war of 1914, we have at least learned that politics do not solve everything. In 1919, the Treaty of Versailles gave prominence to the victors, without giving much consideration to the defeated. Yet, by only considering their immediate interests, the victors sowed the worst for the future, without so much as thinking about providing themselves with the means to stem inflation and promote reconstruction.

There in Bretton Woods, this international system established the mighty power of the U.S. dollar. In that summer during the time of the Normandy invasion, when the Russians were also driving back Nazi defenses, Western countries gathered in a New England forest to coolly consider reconstructing a Europe on fire.

Washington then took action and imposed its own pace. England’s longstanding upper hand on world affairs certainly seemed to have disappeared. While opinions on the new way forward for the world were divided, such as the disagreement between British economist John Maynard Keynes and U.S. economist and Treasury Department official Harry Dexter White, the American point of view would surely prevail.

The war was not yet over, but the international system was already definitely in the process of being subjected to U.S. politics, due to its overwhelming military and economic domination. In 1950, the golden age of die-hard consumption, the United States collected 60 percent of the production equipment for all capitalist countries.

Even though the Bretton Woods system crumbled in 1971, the year in which an end was put to ensuring the U.S. dollar’s convertibility to gold, the greenback’s reign would still live on. Free to wander, the dollar thus galloped off toward the vast meadows of speculation, where an increasing number of neoliberalist animals had been grazing since the 1990s, offering to stem public spending and bleed the state dry. As a result, today’s world has watched investment and solidarity logic get swept away by the logic of predation and competition.

In the case of Greece, the latest and most apparent sign of this downward spiral, there has been an imposition of measures that require the state to pull the plug on itself so that through its complete ruin, it could be said that prosperity has returned. Is Greece dead? Long live Greece!

Upon visiting Bretton Woods this summer in 2015, I could have easily imagined that the peaceful sight of the area was about the same as the one that ‘money’ had already set its eyes upon in 1944. In the large terrace located at the back of the hotel, everyone casually drank their coffee amid the rattan chairs. There, in the long wooden gallery, stood an old panoramic stainless steel telescope. For a few coins, you could take a closer look at the surrounding mountains, or even the golfers that approached in groups from afar, as well as a few horsemen riding beautiful horses.

In a short story entitled “Beautiful View,” Austrian writer Thomas Bernhard tells a story of two professors, both friends, who had reached the summit of a glacier for the sole pleasure of seeing the heights. They then found themselves in front of the telescope on top of the glacier. They each wanted to let the other have the first look. The first to take a look was delighted by the scenery he was able to see through the telescope. But when the other fixed his eyes against the telescope’s cold metal edges, he gave a loud cry and dropped dead. The friend who survived spent years asking himself what had his friend been able to see through the telescope that was so strange.

The same can be said today for those in the European Union who, sitting comfortably upon the heights of the world that they inherited from Bretton Woods, look down at Greece from so far above that they can only see the tips of their noses, which blend into the landscape that they admire for its details rather than its entirety.

The all-powerful, who hold to the provisions of this voracious economic world like a biblical truth, are then so bold as to believe in their own social senses by offering bread and essential goods to those whom they tread upon in the name of their lawful right to corpulent monetary figures.

What a sick world it is where the price of all things is currently known yet their value remains unknown.


Panoramique

Au New Hampshire, au pied du mont Washington, un magnat du charbon construit en 1902 un grand hôtel tout blanc. En été, on dirait un morceau de lumière méditerranéenne qui vient se jeter dans vos yeux, comme une silencieuse incandescence qui gicle vers le bleu du ciel, enraciné au milieu de kilomètres de vert.

En 1944, du 1er au 22 juillet, les représentants de quarante-cinq pays se réunissent dans cet hôtel de bois, planté au milieu d’un terrain de golf taillé à même la grande forêt de moyenne montagne. En ce lieu, situé à quelques heures de route de Montréal, naît alors la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI), des institutions aujourd’hui septuagénaires qui ne montrent pourtant pas toujours beaucoup de sagesse.

Des misères consécutives à la guerre de 1914, on avait au moins appris que tout ne se règle pas par la politique. En 1919, le traité de Versailles donnait la part belle aux vainqueurs, sans trop se soucier des vaincus. Mais à ne considérer que leurs intérêts immédiats, les vainqueurs cultivaient le pire pour l’avenir, sans penser à se donner les moyens ne serait-ce que d’endiguer l’inflation et de favoriser la reconstruction.

Ce système international a mis en place à Bretton Woods la toute-puissance du dollar américain. En cet été où le débarquement de Normandie annonce ses fruits, alors que les Russes repoussent les défenses nazies eux aussi, les Occidentaux considèrent, bien au frais, dans un bois de la Nouvelle-Angleterre, les termes de la reconstruction de l’Europe en feu.

Washington pousse à l’action et impose son rythme. Le vieil ascendant de l’Angleterre sur les affaires du monde apparaît bel et bien périmé. Lorsque les avis sur la nouvelle marche à suivre du monde divergent, comme lorsque John Maynard Keynes et le porte-parole américain Harry White ne s’entendent pas, le point de vue de l’Américain l’emporte à coup sûr.

La guerre n’est pas terminée, mais le système international est déjà bel et bien en passe de devenir subordonné à la politique américaine, à cause de sa domination militaire et économique écrasante. En 1950, âge d’or de la consommation à tous crins, les États-Unis rassemblent 60 % de l’équipement productif de l’ensemble des pays capitalistes.

Même si le régime de Bretton Woods s’effrite en 1971, année où l’on renonce à assurer que le dollar américain peut être converti en or, le règne du billet vert va perdurer. Laissé en liberté, le dollar part alors au galop pour rejoindre les vastes prairies de la spéculation, là où broutent, de plus en plus nombreux, à compter des années 1990, les adeptes du néolibéralisme, ces bêtes qui proposent de juguler les dépenses publiques et de saigner l’État à blanc. En découle aujourd’hui un monde qui a vu la logique des investissements et de la solidarité être balayée par celle de la prédation et de la concurrence.

Dans le cas de la Grèce, symptôme le plus évident ces derniers temps de cette dérive, cela veut dire l’imposition de mesures qui demandent à l’État d’abandonner l’État afin que de sa ruine la plus complète on puisse affirmer le retour de la prospérité. La Grèce est morte ? Vive la Grèce !

En visite à Bretton Woods en cet été 2015, j’imagine sans peine que le spectacle tranquille des environs reste à peu près le même que celui que contemplait déjà l’argent en 1944. Sur la grande terrasse située à l’arrière de l’hôtel, au beau milieu des chaises de rotin, chacun prend nonchalamment le café. Il se trouve là, monté sur la longue galerie de bois, un vieux télescope panoramique en inox. Pour quelques pièces, il permet de voir de plus près les montagnes environnantes, ou encore les golfeurs qui, par grappes, s’avancent au loin, ainsi que quelques cavaliers montés sur de beaux chevaux.

Dans une nouvelle intitulée Belle vue, Thomas Bernhard raconte l’histoire de deux professeurs, liés d’amitié, qui avaient atteint le sommet d’un glacier pour le seul plaisir de connaître les hauteurs. Ils s’étaient retrouvés devant le télescope de l’endroit. Chacun avait voulu laisser l’autre y regarder en premier. Le premier à y poser les yeux avait été enchanté par la scène que la lunette lui donnait l’occasion de mieux voir. Mais quand le second fixa ses orbites contre les rebords du métal froid de la lunette, il avait poussé un grand cri et était mort dans une syncope. L’ami survivant se demanda des années durant ce que l’autre avait bien pu voir de si étrange dans le télescope.

Il en va de même aujourd’hui pour ceux de l’Union européenne qui, bien assis sur les hauteurs du monde hérité de Bretton Woods, regardent vers la Grèce de si haut qu’ils n’y voient au fond que le bout de leur nez, lequel se confond avec le paysage qu’ils admirent pour ses détails plutôt que dans son ensemble.

Les tout-puissants, qui tiennent les dispositions de ce monde économique vorace comme le fait d’une vérité biblique, osent ensuite croire à leur sens social en offrant du pain et des matières de première nécessité à ceux qu’ils écrasent par ailleurs au nom du bon droit à l’embonpoint de leurs chiffres.

Quel monde malade que celui qui connaît désormais le prix de toutes choses, mais qui en ignore la valeur.
This post appeared on the front page as a direct link to the original article with the above link .

Hot this week

Austria: Donald Trump Revives the Liberals in Canada

Venezuela: Vietnam: An Outlet for China

Israel: Trump’s National Security Adviser Forgot To Leave Personal Agenda at Home and Fell

Russia: Political Analyst Reveals the Real Reason behind US Tariffs*

Germany: Absolute Arbitrariness

Topics

Austria: Donald Trump Revives the Liberals in Canada

Germany: Absolute Arbitrariness

Israel: Trump’s National Security Adviser Forgot To Leave Personal Agenda at Home and Fell

Mexico: The Trump Problem

Taiwan: Making America Great Again and Taiwan’s Crucial Choice

Venezuela: Vietnam: An Outlet for China

Russia: Political Analyst Reveals the Real Reason behind US Tariffs*

Related Articles

Austria: Donald Trump Revives the Liberals in Canada

Mexico: The Trump Problem

Mauritius: Could Trump Be Leading the World into Recession?

U.K.: The Guardian View on the IMF’s Warning: Donald Trump Could Cost the World a Trillion Dollars

Canada: The New President Drunk with Power