No, We Don’t Have a Patriot Act

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Non, nous n’avons pas de Patriot Act

Et de deux  ! Goutte à goutte, le camp de détention de Guantanamo se vide. Le 6 janvier, deux prisonniers yéménites ont été transférés au Ghana, où ils ont retrouvé la liberté. Les deux hommes, arrêtés en 2001 en Afghanistan, avaient été jugés libérables en 2010 au vu du « risque minimal » qu’ils posaient à la sécurité des Etats-Unis. Encore fallait-il leur trouver un pays d’accueil, puisqu’il était hors de question de les renvoyer au Yémen.

Et de deux : ils ne sont donc plus que… 105 détenus dans ce camp, ouvert il y a près de quinze ans et que, malgré ses promesses de campagne électorale de 2008, Barack Obama n’arrive pas à fermer. C’est, certes, beaucoup moins que le pic de 677 prisonniers atteint en 2003. Mais c’est un héritage de la « guerre totale contre la terreur » menée par George W. Bush dont son successeur à la Maison Blanche se serait volontiers passé.

M. Obama aura été en revanche plus ambigu sur un autre héritage de ce tournant : le Patriot Act. Il a fallu attendre les révélations de l’affaire Snowden, en 2013, sur la surveillance massive exercée par les Etats-Unis, pour que le président démocrate appelle à la réforme de cette vaste législation sécuritaire adoptée au lendemain des attentats du 11-Septembre, le 26 octobre 2001.

Artillerie lourde contre tir d’escopette

Depuis quelques mois, et plus encore depuis les attentats du 13 novembre 2015, l’idée s’est installée, ici et outre-Atlantique, que la France s’était dotée à son tour d’un Patriot Act, un « Patriot Act gaulois ». Qu’elle avait, elle aussi, « son » George W. Bush, un président provincial métamorphosé en va-t-en-guerre et « premier flic de France ». Qu’inévitablement, face à la menace terroriste, Paris avait sauté à pieds joints dans le piège du sacrifice des libertés publiques sur l’autel de la sécurité. Nous sommes devenus « la France des libertés diminuées », a titré le New York Times dans un éditorial appelant le Parlement à rejeter le projet de révision constitutionnelle.

Vraiment ? L’extraordinaire emballement politico-médiatique sur la question de la déchéance de la nationalité sert à la fois de catalyseur et d’écran à cette comparaison. En se concentrant sur cette initiative – desservie par une gestion catastrophique de l’exécutif –, les critiques commettent l’erreur du prisme du petit bout de la lorgnette. Car comparée à l’artillerie lourde du dispositif sécuritaire mis en place après le 11-Septembre aux Etats-Unis, la mesure de déchéance de nationalité pour les binationaux relève du tir d’escopette.

Sous le choc du double attentat contre le World Trade Center et le Pentagone, le pouvoir américain ne s’était pas contenté d’adopter à une quasi-unanimité, en l’espace de six semaines, une loi de 132 pages, le fameux Patriot Act, accordant aux agences fédérales des pouvoirs de surveillance quasi illimités, allongeant la durée de la garde à vue de deux à sept jours, renforçant considérablement les prérogatives des services de l’immigration, modifiant les compétences de certains tribunaux – l’ensemble des mesures adoptées en France depuis les attentats de janvier 2015 ne va pas si loin.

Plus impressionnant encore a été l’usage excessif des pouvoirs présidentiels qu’a fait Bush après le 11-Septembre. Cette ivresse de l’exécutif, face auquel les autres pouvoirs ont baissé la garde pendant au moins un an, tandis que les contre-pouvoirs restaient silencieux ou inaudibles, est la dérive la plus marquante de cette troublante période. Ce sont des décrets exécutifs qui ont donné naissance à Guantanamo et aux tribunaux militaires pour juger des suspects au statut sorti de nulle part, les « combattants ennemis illégaux », invention juridique destinée à échapper aux conventions de Genève sur les prisonniers de guerre. Ce sont des décrets exécutifs, parfois secrets, qui ont étendu les pouvoirs de surveillance de la NSA, autorisé la détention illimitée, abouti à l’enlèvement de suspects par la CIA à l’étranger et à la légalisation de la torture dans les interrogatoires. Dans un livre publié en 2007, Unchecked and Unbalanced (The New Press, non traduit), deux juristes américains, Frederick Schwartz et Aziz Huq, évoquent une « revendication monarchique de pouvoir exécutif » dont le zèle paraît ne se heurter à aucune résistance.

Un rempart contre les abus

Ce recours incontrôlé aux pouvoirs spéciaux du président s’est fait avec le concours actif du ministère de la justice et de ses juristes. Car au-delà de la lutte contre le terrorisme, c’est l’ambition néoconservatrice du rétablissement d’un pouvoir présidentiel fort, pour laver l’humiliation du Watergate, qui était à l’œuvre. George W. Bush avait été un gouverneur du Texas plutôt inoffensif. Une fois à Washington, il ne fut qu’un exécutant de cette vision néoconservatrice.

On est loin, en France, du tableau américain. Ceux qui perçoivent dans la constitutionnalisation de l’état d’urgence une menace pour les libertés se trompent : les juristes s’accordent au contraire pour y voir un rempart contre les abus. On peut aisément déceler un calcul électoral à l’Elysée, pas le souffle messianique des néoconservateurs. L’unanimité politique et médiatique qui a encouragé l’administration Bush dans cette voie n’est pas franchement la règle à Paris. La vivacité du débat actuel sur les libertés publiques, le tollé soulevé par la déchéance de nationalité et par la tendance au renforcement des pouvoirs de la police et du parquet au détriment du juge d’instruction, consacrée par le nouveau projet de loi de lutte contre le terrorisme, prouvent au moins une chose : l’esprit critique et les contre-pouvoirs jouent leur rôle dans la France post-attentats, bien plus qu’ils n’ont pu le faire dans l’Amérique de l’après-11-Septembre. C’est plutôt sain, et, d’une certaine manière, rassurant.

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