Shutdown, construction du mur, immigration : et si Donald Trump avait un plan ?
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Jean-Eric Branaa analyse la situation inédite aux États-Unis, sur fond de shutdown et de construction d’un mur à la frontière mexicaine. Il pense que Donald Trump n’est pas en situation défavorable puisque l’immigration est un sujet qu’il maîtrise et qui lui permet de maintenir la pression sur les Démocrates.
Jean-Eric Branaa est maître de conférences à Paris II-Assas et chercheur au laboratoire de recherche Thucydide de Paris II. Il est notamment l’auteur de Trumpland: portrait d’une Amérique divisée (Privat, octobre 2017). Son dernier ouvrage est paru en mai 2018 chez Privat et s’intitule Quand l’Amérique gronde (1968-2018).
FIGAROVOX.- Donald Trump doit actuellement faire face au «shutdown» lié au conflit qui l’oppose aux Démocrates concernant la construction du mur à la frontière mexicaine. Où en est la situation? Comment cette crise peut-elle se résoudre?
Jean-Eric BRANAA.- Nous sommes dans une situation très compliquée, c’est même une impasse. Aucun des deux camps ne compte lâcher sur ce terrain symbolique qu’est l’immigration. Nous n’avons jamais eu une pareille situation où l’enjeu du shutdown est celui de l’ancienne Présidentielle et certainement de la prochaine: le mur à la frontière mexicaine. Il s’agit maintenant de savoir si ce mur va être construit, ou non, alors que tout le mouvement de résistance qui s’est organisé autour de Trump s’est justement focalisé sur cette question du mur. Il serait donc fâcheux pour les Démocrates de financer ce mur et montrer qu’ils ont cédé sur l’immigration, point principal des revendications de Donald Trump. Ils pensent au contraire qu’une solution alternative est possible et qu’il est envisageable de construire un «mur technologique», qui avait été commencé par Obama, avec des drones, des caméras de surveillance, des écoutes… Le tout pour pouvoir financer à moindre coût un contrôle sur la frontière plutôt que d’avoir un mur qui serait la preuve de l’ego surdimensionné de Donald Trump, lequel serait en passe de construire un mur de 3000 kilomètres de long…
Mais à quoi ressemblerait ce mur? Est-il possible techniquement?
En réalité ce mur ne sortira jamais de terre. Le mur actuel fait 930 kilomètres de long, il s’agirait de construire en deux ans un mur de plus de 2000 kilomètres pour compléter la surface manquante: c’est impossible, notamment pour des questions d’appropriation des terres, qui n’appartiennent pas toutes au gouvernement fédéral. Certaines sont des réserves indiennes, d’autres appartiennent à des particuliers. L’expropriation prendrait beaucoup de temps, plus longtemps que les deux années menant à la prochaine élection présidentielle ou bien les six années menant à la fin du potentiel second mandat de Donald Trump. On sait que ce mur ne peut pas être construit, la question ne porte donc pas sur le coût du mur en tant que tel, ni sur le coût du shutdown, qui dépasse déjà le coût du mur: il s’agit plutôt d’une question politique, les Démocrates ne veulent pas laisser la victoire à Trump.
Et en même temps Trump a déjà gagné: il conserve au premier plan des discussions la question de l’immigration qui a fait son succès. Il la remet dans le jeu alors que les Démocrates aimeraient s’en débarrasser. Ce qu’ils ont tenté pendant les midterms en parlant de question sociale et d’assurance santé: mais on voit que l’immigration revient toujours au premier plan.
C’est donc un coup politique de la part Donald Trump qui compte aller vers les prochaines Présidentielles fort de la question migratoire qu’il maîtrise…
C’est exactement cela. Il maintient la pression grâce à la question migratoire et pourra dire que les Démocrates l’ont empêché de construire le mur, et que les problèmes liés à l’immigration sont de leur faute. Donc à chaque fois qu’il y a un fait divers lié à l’immigration dans la presse, il incrimine les Démocrates: en en rajoutant à chaque évènement, il accentue la pression qu’il exerce déjà sur eux. Il a désormais un boulevard pour continuer à construire avec cette méthode. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que ce sera sa seule force pendant la prochaine campagne, il a bien mieux, ce qu’il avait mise de côté pendant les midterms: son succès sur les questions économiques.
Cela pose la question des raisons de son succès et de ses méthodes. Où en est-il avec cette diplomatie iconoclaste, liée notamment à ses tweets?
Nous n’avons plus affaire uniquement à la méthode du tweet. Il y a eu un vrai changement depuis cinq ou six mois. On se rend compte d’un nouveau Trump aujourd’hui du fait, notamment, de l’arrivée de Mike Pompeo et de John Bolton. Avec eux, Trump est devenu un Républicain comme les autres. Il y a maintenant une part de sa présidence qui appartient au parti, principalement sa politique étrangère. Trump continue à souffler le chaud et le froid mais John Bolton, par exemple, fait une tournée au Moyen Orient pour compenser ses sorties et ses effets d’annonce. Ils sont en train d’apporter un changement de modèle: Trump garde sa ligne dans la rhétorique mais eux repassent les plats diplomatiques.
Justement, concernant la géopolitique, Donald Trump vient de retirer ses troupes de Syrie mais retourne à l’offensive face à Erdogan…
Il est clairement en train d’appliquer une autre promesse de campagne: que les États-Unis ne soient plus les gendarmes du monde. L’idée principale étant que l’interventionnisme américain coûte cher au contribuable et qu’il faut donc que les soldats rentrent au pays, mais ils sont nombreux: 240 000 en opérations extérieures. D’autant plus que lui ne s’intéresse qu’à la géoéconomie, à la manière de vendre des armes, de «faire des deals». C’était clair avant, désormais c’est assumé. Car, comme je l’explique plus haut, la diplomatie américaine ne lui appartient plus.
Ce sont notamment Mike Pompeo et John Bolton qui tendent à prendre la main, mais aussi le Congrès.
On a vu l’insistance de certains sénateurs, notamment Lindsey Graham, quant à ce que devaient être la politique étrangère américaine et le rôle des États-Unis dans le monde. C’est un débat qui échappe en partie aux Américains qui s’en désintéressent, mais Trump bénéficie de ses effets d’annonce qui plaisent à sa base électorale. Avec Erdogan il en rajoute énormément, cela rappelle la rhétorique du «gros bouton» face à Kim Jong-Un, lorsque pareillement, il avait menacé de faire détruire totalement la Corée du Nord à l’ONU.
C’est cette rhétorique que les électeurs adorent. Mais à côté de cela, il laisse certaines personnes de son entourage avancer leurs pions. C’est pour cela que le Congrès est si soudé sur le soutien à Trump sur le shutdown, il lui laisse le chemin de sa politique intérieure et de sa réélection.
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