Armes nucléaires : la fin d’un symbole
La dénonciation du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire relance les inquiétudes européennes.
Ils ont signé son arrêt de mort et, en définitive, cela sert leurs intérêts mutuels : les Etats-Unis et la Russie sont désormais officiellement sortis du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire – FNI, ou INF en anglais, pour Intermediate-Range Nuclear Forces – signé, le 8 décembre 1987, par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev.
C’était l’un des grands symboles de la fin de la guerre froide et son extinction, vendredi 2 août, aura trois conséquences immédiates.
Elle permettra d’abord, tant à Washington qu’à Moscou, de moderniser leur arsenal et de déployer rapidement de nouveaux équipements ; ensuite, elle laisse les Européens à leurs inquiétudes quant à la relance d’une course à l’armement nucléaire par les deux grands rivaux ; enfin, elle cible directement la Chine, qui développe très vite ses capacités à l’heure actuelle pour affirmer notamment sa suprématie en Asie.
Donald Trump avait annoncé, le 2 février, la procédure de retrait américain, qui deviendrait effectif au bout de six mois, mettant en cause Moscou pour des violations de l’accord depuis plusieurs années. En rétorsion, Vladimir Poutine avait aussitôt suspendu la participation de la Russie, décision ratifiée le 3 juillet.
« Les Etats-Unis ont évoqué leurs inquiétudes auprès de la Russie dès 2013 », a rappelé le patron de la diplomatie américaine, Mike Pompeo. L’administration Obama disposait en effet d’informations indiquant que la Russie testait un nouveau missile, le 9M729, et des lanceurs, en contravention avec les règles du traité FNI. Le président américain n’avait toutefois pas voulu partager immédiatement ces informations avec les pays de l’OTAN, afin de ne pas jeter le trouble au sein de l’Alliance. Vendredi, les pays membres ont apporté leur « plein soutien » aux Etats-Unis.
Nouvelles réalités
Washington et ses alliés accusent la Russie de ne pas avoir respecté l’accord en développant ce 9M729 (ou SSC-8) mobile, rapide, difficile à détecter, doté d’une portée d’au moins 2 500 kilomètres. Moscou nie, assurant, contre toute évidence, que ses missiles à double capacité – à la fois conventionnelle et nucléaire – ne peuvent dépasser 480 kilomètres.
M. Pompeo souligne que les autorités russes n’ont pas saisi, au cours des six derniers mois, leur « dernière chance » de sauver l’accord. Plusieurs discussions entre les deux puissances rivales se sont de fait révélées infructueuses depuis février, dans le cadre du Conseil OTAN-Russie notamment. « Le traité FNI nous a été utile, mais il ne fonctionne que si les deux parties le respectent », a déclaré le nouveau chef du Pentagone, Mark Esper, en début de semaine. Devant le Sénat, il a affirmé que les Etats-Unis, affranchis des obligations découlant de l’accord, feraient désormais « tout ce qui est dans leur intérêt ».
Un haut responsable de l’administration américaine indiquait dès vendredi que son pays conduirait rapidement des essais de nouveaux missiles, qui auraient été bannis par le traité FNI. « Nous ferons en sorte que notre dissuasion soit crédible face au déploiement du nouveau système de missiles russes capables de transporter des têtes nucléaires et de frapper les villes européennes en quelques minutes », déclarait de son côté le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, à Bruxelles.
Quels seront les éléments de cette dissuasion ? M. Stoltenberg est resté vague, confirmant seulement que Washington ne déploierait pas de nouveaux missiles nucléaires en Europe. Moscou, de son côté, évoque notamment le développement d’une version terrestre de missiles, les Kalibr, utilisés par la marine russe et déjà testés en Syrie.
Mettant fin à la longue crise des « euromissiles » avec le déploiement en Europe des SS-20 russes puis des Pershing américains, le traité sur les FNI interdisait totalement les missiles conventionnels ou nucléaires d’une portée intermédiaire, c’est-à-dire comprise entre 500 et 5 500 kilomètres. Il prévoyait le retrait, mais aussi la destruction de ces armes.
Il fut longtemps respecté par les deux parties. En tout, 2 692 missiles ont été détruits avant 1991, soit la quasi-totalité des missiles nucléaires de portée intermédiaire.
L’une des innovations du traité FNI constituait en la mise en place de procédures de vérification des destructions par des inspecteurs de l’autre pays concerné. Mais ce texte bilatéral entre les Etats-Unis et la Russie s’est trouvé de plus en plus en décalage avec les nouvelles réalités géostratégiques et notamment la montée en puissance de la Chine, non liée par le traité, qui a considérablement développé ce type d’arme.
Inclure la Chine
Le Pentagone a d’ailleurs fait d’une modernisation de son arsenal en guise de riposte à Pékin l’une de ses priorités. Des missiles d’un nouveau type devraient notamment être déployés dans la région indo-pacifique et la mer de Chine méridionale. « La plus grande partie de l’arsenal chinois est composée de missiles de portée intermédiaire et nous devons nous assurer que nous avons les mêmes capacités si, par malheur, nous devions entrer en conflit avec eux un jour », a expliqué Mark Esper.
Questionné vendredi au sujet du traité FNI, le président américain, Donald Trump, a répondu qu’un nouveau traité nucléaire devrait inclure la Chine : « Nous en avons parlé avec les Russes, M. Poutine, et aussi la Chine, ils sont tous les deux très excités à l’idée d’un tel pacte. » Sans plus de précisions.
Nul ne se fait, en tout cas, d’illusion quant à la volonté de l’administration Trump de chercher un nouvel accord. Ce d’autant plus qu’elle se montre clairement réticente à prolonger pour cinq ans le traité New Start – ou Start III – sur les armements nucléaires stratégiques qui, signé en 2011, arrive à échéance en 2021.
La fin de cet autre traité lèverait tous les obstacles à une nouvelle course aux armements nucléaires. D’où l’inquiétude exprimée par le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, face à ce qu’il considère être « la perte d’un outil précieux contre la guerre nucléaire ».
« Le FNI était un traité de guerre froide datant de trente ans, mais ce n’est pas le cas du New Start. Il y a, du côté américain, une dimension idéologique toujours évidente, amorcée avant même la présidence Trump, qui est de considérer de tels traités de maîtrise des armements comme des carcans qui ne sont pas dans l’intérêt des Etats-Unis », relève Corentin Brustlein, directeur du centre d’études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI), soulignant que, parallèlement, « du côté russe, il y a une nouvelle confiance dans leur remontée en puissance militaire et en leur capacité à violer les traités, tout en niant le fait de les violer et surtout en faisant porter la responsabilité aux autres ».
Prudence des experts
Les experts restent en général prudents quant au risque d’une véritable escalade. Il y avait, à la fin de la guerre froide, quelque 60 000 têtes nucléaires, à 95 % aux mains des Américains et des Soviétiques. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 14 000. « Nous n’allons pas, en 2019, revenir à 1979. Ce n’est pas parce que les Russes violent le traité FNI et que les Etats-Unis s’en retirent que nous allons obligatoirement assister à une course aux armements », explique Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
La modernisation de l’arsenal russe, engagée depuis plusieurs années, est réelle. Mais elle est limitée par les ressources d’un pays dont le produit intérieur brut est aujourd’hui équivalent à celui de l’Italie et dont le budget de la défense n’est guère supérieur à celui de la France.
« Je ne suis pas sûr que la fin du FNI altère réellement la stabilité européenne », analyse M. Brustlein, tout en relevant que « cela dépendra de l’attitude de la Russie, notamment de sa capacité à produire et surtout à déployer ces missiles qui sont déjà là en violation du traité ».
« Un important déploiement en Europe de missiles russes de croisière à moyenne et longue portée changerait le rapport de force, mais essentiellement dans le domaine conventionnel, même si les missiles russes ont une double capacité, conventionnelle et nucléaire. Les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont dit qu’ils ne déploieraient pas de missiles sol-sol nucléaires. La question reste de savoir s’il faut de nouveaux moyens militaires, offensifs ou défensifs, pour contrer ces déploiements », précise M. Tertrais.
Il faut en effet tenir compte aussi du poids des opinions publiques européennes, et notamment en Allemagne, aujourd’hui encore plus opposées qu’à l’époque de la guerre froide à l’accueil de nouvelles armes nucléaires.
Prudence des experts
Les experts restent en général prudents quant au risque d’une véritable escalade. Il y avait, à la fin de la guerre froide, quelque 60 000 têtes nucléaires, à 95 % aux mains des Américains et des Soviétiques. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 14 000. « Nous n’allons pas, en 2019, revenir à 1979. Ce n’est pas parce que les Russes violent le traité FNI et que les Etats-Unis s’en retirent que nous allons obligatoirement assister à une course aux armements », explique Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
La modernisation de l’arsenal russe, engagée depuis plusieurs années, est réelle. Mais elle est limitée par les ressources d’un pays dont le produit intérieur brut est aujourd’hui équivalent à celui de l’Italie et dont le budget de la défense n’est guère supérieur à celui de la France.
« Je ne suis pas sûr que la fin du FNI altère réellement la stabilité européenne », analyse M. Brustlein, tout en relevant que « cela dépendra de l’attitude de la Russie, notamment de sa capacité à produire et surtout à déployer ces missiles qui sont déjà là en violation du traité ».
« Un important déploiement en Europe de missiles russes de croisière à moyenne et longue portée changerait le rapport de force, mais essentiellement dans le domaine conventionnel, même si les missiles russes ont une double capacité, conventionnelle et nucléaire. Les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont dit qu’ils ne déploieraient pas de missiles sol-sol nucléaires. La question reste de savoir s’il faut de nouveaux moyens militaires, offensifs ou défensifs, pour contrer ces déploiements », précise M. Tertrais.
Il faut en effet tenir compte aussi du poids des opinions publiques européennes, et notamment en Allemagne, aujourd’hui encore plus opposées qu’à l’époque de la guerre froide à l’accueil de nouvelles armes nucléaires.
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