La grande faiblesse de l’économie américaine n’est pas son concurrent chinois, mais sa politique budgétaire expansionniste et procyclique qui fait de Donald Trump l’un des meilleurs élèves de Keynes, selon Jean-Marc Daniel. Une politique qui débouche sur une accumulation de dette qui devient dangereuse.
L’actualité se structure ces derniers temps autour de la « guerre commerciale » entre les Etats-Unis et la Chine. Dans ce couple que l’on a pris l’habitude de désigner du néologisme de « Chinamérique », la politique protectionniste de Donald Trump fragiliserait un équilibre construit dans les années 1990, faisant de la Chine un atelier peu coûteux et des Etats-Unis les débouchés de cet atelier.
De fait, la Chine a accumulé dans les années 1990-2000 des excédents commerciaux record grâce à ses exportations vers les Etats-Unis, qui simultanément ont accumulé des déficits tout autant record. En apparence, cet état de fait perdure puisque, en 2018, sur les 620 milliards de déficit commercial des Etats-Unis, 420 provenaient du commerce bilatéral avec la Chine. Cette situation crée en théorie deux sacrifiés : le consommateur chinois d’abord, obligé d’accepter pour rester compétitif et préserver les parts de marché américaines de l’industrie chinoise des niveaux de rémunération faibles limitant la hausse de son pouvoir d’achat ; le producteur américain ensuite, obligé de céder la place à son homologue asiatique, dont le coût est moins élevé, afin de maintenir une augmentation régulière du pouvoir d’achat des classes moyennes de son pays. Il en résulte que l’équilibre sino-américain est instable, les deux sacrifiés ayant intérêt à le contester.
Mesures protectionnistes ciblées
Dans le cas de la Chine, cela a conduit à une revalorisation des salaires et des revenus dont la conséquence a été un gonflement des importations. Depuis la récession de 2008-2009, les exportations chinoises ont augmenté d’environ 75 % tandis que les importations ont augmenté de 125 %. Malgré son excédent commercial significatif sur les Etats-Unis, la Chine équilibre désormais difficilement ses comptes extérieurs. Elle est passée d’un excédent de sa balance des paiements courants en 2007 de 10 % de son PIB à un probable déficit en 2020.
Dans le cas des Etats-Unis, la remise en cause se traduit par un appel insistant d’une partie significative de l’opinion à des mesures protectionnistes ciblées sur la Chine, dont la politique confuse de Donald Trump se veut la concrétisation.
Autant l’évolution chinoise paraît naturelle, la population ayant vocation a bénéficié pleinement de la croissance sous forme d’élévation de ses standards de consommation, autant la politique de l’administration américaine est à côté de la plaque. En effet, celle-ci attend du protectionnisme une forme de pénalisation de son partenaire chinois – et accessoirement de ses autres partenaires commerciaux, notamment européens – qui se révélerait salvatrice pour la croissance et l’emploi. Ce faisant, elle ignore ou fait mine d’ignorer que le problème de l’économie américaine n’est pas la concurrence extérieure mais une politique budgétaire excessivement expansionniste et largement « procyclique » (c’est-à-dire déconnectée des fluctuations conjoncturelles). Le déficit public structurel américain (c’est-à-dire hors les nécessités de la régulation conjoncturelle) est aujourd’hui supérieur à 5 % du PIB, niveau qui s’est aggravé avec l’administration Trump mais qui n’est pas nouveau.
L’enracinement de ce déficit structurel dans l’économie américaine a trois conséquences majeures : la première est de susciter une demande élevée qui maintient en partie le plein-emploi, mais qui alimente le flux d’importations ; ce qui signifie que le déficit extérieur américain ne traduit pas une agressivité commerciale chinoise plus ou moins sournoise, mais un excès de consommation américain savamment entretenu par des baisses récurrentes d’impôts et des dépenses publiques mal maîtrisées. La preuve en est que le procès fait de nos jours à la Chine par Washington reproduit celui fait naguère au Japon dans les années 1980 et à l’Allemagne dans les années 1960. A chaque fois, le fournisseur privilégié de la consommation américaine est accusé de détruire le tissu productif américain et menacé de représailles sous forme de hausse des droits de douane ou de hausse de son taux de change.
Equivalence ricardienne
La deuxième est de donner une forme d’assurance sur leurs débouchés aux entreprises américaines, ce qui limite leur incitation à l’innovation et conduit à un ralentissement des gains de productivité qui handicape la croissance à long terme, et est désormais perçu par les dirigeants et les experts comme un problème majeur.
La troisième est de provoquer de plus en plus de doutes dans la population américaine qui réagit en répondant à chaque nouvelle augmentation de la dette publique par un surcroît d’épargne. Si ce phénomène, théorisé par les économistes sous le nom d’« équivalence ricardienne », est resté relativement peu sensible pendant longtemps, il tend à s’installer et à s’amplifier depuis l’accession de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Cette politique, keynésienne dans la mesure où elle fait du déficit budgétaire l’élément clef de l’action économique, et populiste dans la mesure où elle accuse l’étranger – et paradoxalement son principal fournisseur – de tous les maux, est à bout de souffle. La Chine n’a aucune raison d’accepter les rodomontades américaines, à la différence évidente de ce que durent accepter dans le passé l’Allemagne et le Japon. Et la baisse tendancielle de la croissance américaine, qui nourrit les thèses sur la « stagnation séculaire », montre que ce keynésianisme populiste débouche sur une accumulation de dette vaine et dangereuse.
Il est donc urgent que les autorités américaines se souviennent d’une des maximes favorites de John Adams, leur deuxième président, à savoir : « Il y a deux manières de conquérir et asservir une nation. L’une est par l’épée. L’autre est par la dette. »
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