Les nuages de Munich
Chaque année courant février, le gratin de la diplomatie et de la défense se retrouve pour une fin de semaine dans la capitale bavaroise, avec des présidents, des ministres et des spécialistes venus d’un peu partout, pas seulement d’Occident, mais aussi de Chine et de Russie.
À Munich, on a pu régulièrement entendre, au fil des ans, des propos convenus sur la « paix dans le monde » et les « grands équilibres »… mais également des passes d’armes (verbales !) étonnamment franches, donnant une bonne idée des déséquilibres stratégiques, des rivalités nouvelles et des conflits de demain.
C’était cette année la quatrième conférence sous l’ère Trump. En 2017, le reste du monde, encore sous le choc de l’élection de novembre 2016, se rassurait en constatant qu’il n’y avait encore à Munich, pour représenter les États-Unis, que « des adultes dans la pièce » (ils s’appelaient James Mattis, Rex Tillerson : lointains souvenirs…).
Ces « adultes » allaient, voulait-on croire, bien encadrer le nouveau président et l’empêcher de faire des bêtises — par exemple de se retirer de l’entente sur le nucléaire iranien.
En 2018, la réalité les avait rejoints, le tourbillon Trump ne retombait pas… mais les responsables étrangers se disaient tout de même que le pire était derrière eux : un Emmanuel Macron pensait encore, à coup de tapes dans le dos et de larges sourires, pouvoir mettre de son côté l’imprévisible locataire de la Maison-Blanche.
En 2019, l’idée que les États-Unis de Trump, d’un point de vue européen, ne sont plus des partenaires fiables… cette idée commençait à s’installer, mais on se demandait encore ce qu’il fallait faire devant la nouvelle réalité.
En 2020, la conférence de Munich s’est déroulée sur un thème réaliste — « Un monde moins occidental » —, soumis par la partie allemande. Sous des auspices assez sombres étaient présents le président français, le premier ministre canadien, le secrétaire d’État américain, les ministres des Affaires étrangères de Chine et de Russie.
Le pessimisme était au rendez-vous. Très franc, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a déclaré que les États-Unis rejetaient désormais « jusqu’au concept même de communauté internationale », et qu’il fallait donc prendre acte du retrait du leadership américain en matière de sécurité mondiale.
Quant au ministre des Affaires étrangères du même pays, Heiko Maas, il a déclaré que « l’avenir du Moyen-Orient ne se décide plus à Genève ou à New York, mais à Sotchi ou à Astana [au Kazakhstan] ». Façon de dire que, devant un nombre croissant de questions stratégiques graves, Européens et Nord-Américains paraissent hors jeu en 2020.
Emmanuel Macron a ramené de nouveau son idée d’une défense autonome de l’Europe (sous parapluie nucléaire français), devant laquelle les Allemands — qui n’ont pas complètement fait leur deuil de « l’Amérique protectrice » — restent tièdes. Le désaccord franco-allemand est aussi très fort en matière économique : les premiers voudraient faire de la relance européenne par les dépenses publiques, les seconds ne veulent pas en entendre parler…
Les Européens, au simple niveau du constat, commencent à voir plus clairement ce qui se passe chez eux, et à le dire : un déclin qui vient à la fois de l’intérieur (stagnation économique, gouvernements instables, Union incertaine) et de l’extérieur (États-Unis, Russie). Même s’ils sont toujours incapables d’esquisser une stratégie commune.
Mais à Munich, ils se sont fait apostropher par des représentants étrangers qui leur ont dit qu’ils rêvaient, qu’ils se trompaient… même sur le plan du constat ! L’inamovible Serguei Lavrov, chef de la diplomatie russe, s’est moqué de ceux qui voyaient « le spectre de la menace russe » comme explication des maux européens.
Et dans un étrange écho aux propos de M. Lavrov, Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, y est allé pour sa part d’un discours planant, où il a sérieusement soutenu que « la nouvelle de la mort de l’alliance transatlantique est grandement exagérée » et que « l’Occident gagne, et nous gagnons tous ensemble »…
La prochaine conférence de Munich se tiendra en février 2021. Ce sera ou bien l’accueil plein d’espoir (mais peut-être naïf) d’un nouveau président démocrate… ou bien la confirmation qu’après les bouleversements de la période 2017-2020, on n’a encore rien vu.
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