La peste des réseaux
Twitter et Facebook ont été utilisés à plein par Donald Trump pendant la campagne présidentielle, et avec succès. Les réseaux y ont trouvé leur compte avec l’affluence que cela a généré. Un succès à double tranchant, car le locataire de la Maison-Blanche est devenu un hôte encombrant, au point de remettre en cause leur business model.
Unilever, qui aurait investi 42,4 millions de dollars en publicité sur Facebook en 2019, vient d’annoncer qu’au moins jusqu’à la fin de l’année, il stoppait ses dépenses ainsi que celles sur les autres médias sociaux . Coca-Cola, Procter & Gamble, Adidas, Reebok et bien d’autres lui ont emboîté le pas. En cause, l’atmosphère de haine consécutive au meurtre de George Floyd. Mais le retrait des annonceurs des médias sociaux est plus qu’une simple retenue. C’est un poison dans leur modèle économique…
Pousse-au-crime des réseaux
Souvenons-nous. 2016, Trump envahit Twitter. Grâce au réseau, il obtient deux fois plus de médiatisation gratuite qu’Hillary « la menteuse », sa concurrente d’alors. Il campe sur les médias sociaux en contempteur de la presse accréditée, taxée d’« hypocrite », de « vendue », de « faussaire ». Ses outrances sont reprises par tous les médias, qui y trouvent leur compte et vendent de la pub. Comme le montre brillamment Christopher Wylie, dans « MindF*ck », la vague est grossie par les noces de Steve Bannon et de Cambridge Analytica, lesquels excitent les groupes les plus virulents des réseaux, faisant de la polémique le coeur de leur audience. Plus on se castagne, plus il y a de curieux, plus il y a de profils, plus on les vend… Mieux Trump peut les cibler.
Résultat, avec 11.000 tweets en trois ans et 82 millions d’abonnés, Trump a modelé le contexte de Twitter et flatté le pousse-au-crime des réseaux. Il en a donné le ton, s’instaurant de fait éditeur, ce qu’aucun d’entre eux – « média social » oblige – n’acceptait d’assumer. Et pour cause, le sacro-saint statut d’hébergeur, né du Telecom Act de 1996, pour promouvoir Internet, exempte les plateformes de responsabilité éditoriale. Ce qui, aux Etats-Unis comme ailleurs, à l’exception de la Chine, qui censure placidement ses réseaux, favorise l’extension du modèle outrancier.
Un modèle conflictuel
Sauf qu’aujourd’hui, aucune marque politique ni commerciale n’est capable de déloger Trump, dont l’étoile, pourtant, pâlit de jour en jour. Pis, plus sa marque s’étiole, plus il est agressif. Premier visé, Twitter a réagi en refusant la publicité politique… Puis s’est mis à censurer Trump (le patron !). Lequel a aussitôt tweeté qu’il allait abroger le statut d’hébergeur. Les autres médias sociaux ont fait profil bas, le plus rasant étant Facebook, plus dépendant aussi du statut d’hébergeur. N’empêche, entre Twitter, la pandémie, le complotisme et les tensions sociales qu’ils engendrent, les clivages et la violence que Trump a instaurés créent un contexte désastreux. Dit autrement, l’effet « MindF*ck » est en train de polluer les annonceurs. Les réseaux puent.
Pourquoi Facebook a raison de ne pas censurer Trump
Certes, les annonceurs sont prudents. Ils déclarent un retrait provisoire , laissant croire que la situation va spontanément s’apaiser. Un coup de communication ? Pas si sûr. Le statut d’hébergeur des réseaux favorise un modèle conflictuel. Certains tentent de reprendre la main sur leur contexte en censurant Trump – Twitch et Reddit viennent de le faire. Problème, le contexte est le propre de l’éditeur. Certains, comme Condé Nast, ont déjà claironné qu’ils entendaient satisfaire les désirs égalitaires de l’époque. Pour protéger leur statut, les plateformes vont devoir limiter les interventions humaines au moyen d’algorithmes éliminant le politiquement incorrect. Elles l’ont fait pour la pornographie. Elles sont à la peine pour les contenus sous copyright. Est-ce réaliste pour les idées ? Cela suffira-t-il à restaurer la confiance ? Et si, aux yeux des annonceurs, la valeur du contexte excède celle du ciblage, n’auront-elles pas intérêt à se faire éditrices ?
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