OMS – Etats-Unis : chronique d’une rupture annoncée
Paris, le jeudi 15 juillet – La sortie est désormais officielle. Mardi 7 juillet, le président Donald Trump annonçait la procédure de retrait des Etats-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) accusée d’avoir tardé à réagir face à la pandémie de Covid-19. Les Nations unies ont confirmé avoir reçu la lettre du retrait américain.
L’actuel locataire de la Maison blanche a, il est vrai, habitué le monde aux coups d’éclats diplomatiques, comme en témoigne une énumération rapide : retrait des accords de Paris sur le climat et de l’Unesco en 2017, retrait de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et des accords SALT sur les armes nucléaires en 2018, retrait de l’accord « Ciel ouvert » en 2020… Mais cette décision de Trump ne peut s’expliquer à elle seule par une hostilité de principe au multilatéralisme. Pour les historiens Jean-Paul Gaudillière et Christoph Gradmann, le choix de l’Amérique est aussi lié à des divergences de vue de longue date sur la gouvernance et les pratiques de l’OMS.
1948 – Un mariage de raison, et non d’amour
Dans une tribune publiée dans le quotidien Le Monde, Jean-Paul Gaudillière et Christoph Gradmann rappellent ainsi que c’est tout d’abord à contre cœur que l’Amérique a fait le choix de rejoindre l’OMS en 1948, perçue avant tout comme un outil bureaucratique. Avec le retour de l’URSS et de ses satellites en 1955, l’institution se retrouve très rapidement au cœur de la guerre froide. L’Amérique perçoit alors avec méfiance une institution où l’occident semble rapidement en minorité.
Paradoxalement, et comme le souligne Pierre Haski dans un documentaire réalisé en juin 2020 et disponible sur arte.fr, c’est au cours de ces premières décennies de la guerre froide que l’OMS a mené ses projets les plus ambitieux. Ainsi, médecins soviétiques et américains ont collaboré pour participer à l’éradication de la variole dans le monde, l’un des virus les plus meurtriers du XXème siècle.
1978 : la déclaration de Alma Ata vécue comme une déclaration de guerre
Cette méfiance relative va se transformer en une véritable hostilité. Lors de la conférence d’Alma-Ata de 1978, l’OMS entérine une déclaration perçue comme une attaque directe contre les Etats-Unis.
Élaborée sous l’influence des pays socialistes et des nations du sud, cette résolution stipulait que « les soins de santé primaires » devaient être conçus comme un moyen permettant d’atteindre un « objectif de développement empreint d’un véritable esprit de justice sociale ».
Un texte clairement en opposition avec la vision américaine et libérale du système de santé.
1980 – 2000 : bouleversements des financements et jeux d’influence
Cette résolution a assurément laissé des traces. Avec l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir en 1980, les Etats-Unis diminuent drastiquement leur contribution budgétaire à l’institution à un moment où le monde fait face à l’épidémie de Sida.
Pour permettre le retour des Etats-Unis, l’OMS accepte une refonte de ses dispositifs de financement. Désormais, les contributions des États ne constituent que 20 % de ses ressources, le reste étant réservé aux « contributions volontaires ».
Or, c’est paradoxalement ce nouveau mode de fonctionnement qui a permis à la Chine d’accroitre son influence au sein de l’institution tout au long des années 2000 et 2010.
De manière plus insidieuse, d’autres acteurs privés sont parvenus à bouleverser l’agenda de l’OMS. C’est notamment le cas de l’intervention de la fondation Bill et Melinda Gates, qui a permis de diriger les efforts de l’organisation vers l’éradication de la polio.
Cette intervention du privé est parfois critiquée, notamment par Philippe Douste Blazy, ancien ministre de la santé et ancien secrétaire général adjoint des Nations Unies. Interviewé dans le cadre du documentaire « Chine – USA, la bataille de l’OMS », ce dernier estime que si l’objectif d’éradication d’une maladie est louable, l’agenda d’une institution ne peut être dans le même temps dicté par un donateur privé.
2020 : « La maladie de l’unanimité » au cœur des dysfonctionnements
Si l’on peut néanmoins remarquer que le dynamisme de la fondation Bill et Melinda Gates a contribué à des succès essentiels pour la santé publique, ce jeu d’influence favorise néanmoins, en tout état de cause, une paralysie des institutions. Ainsi, pour Philippe Douste-Blazy, le poids pris par la Chine ces dernières années a conduit à une « maladie de l’unanimité » au sein du Conseil Exécutif. Ainsi, concrètement, de peur de fâcher Pékin, les instances refusent de prendre des décisions susceptibles de contrarier la République populaire de Chine. Un état de fait qui ne fut pas sans conséquences sur la gestion de la crise sanitaire du Covid-19. A l’opposé, au sein de l’Assemblée, c’est le principe « un pays une voix » qui est remis en cause. Tout en étant « de loin le premier contributeur » de l’OMS les Etats-Unis ont ainsi toujours jugé « que leur influence n’était pas à la hauteur de leur apport » constatent Jean-Paul Gaudillière et Christoph Gradmann.
2021 : le grand départ aura-t-il lieu ?
Quelles conséquences pour l’avenir ? Tout d’abord il s’agit de savoir si le départ américain de l’institution aura bien lieu.
Le porte-parole de M. Guterres a précisé que les Etats-Unis devaient remplir deux conditions pour se retirer de l’organisation : respecter un délai d’un an et être à jour dans leurs contributions. Or, le candidat démocrate Joe Biden, actuellement favori des sondages, a indiqué qu’il reviendrait sur la décision du président Trump en cas de victoire en novembre.
En tout état de cause, Jean-Paul Gaudillière et Christoph Gradmann invitent l’Europe et les États membres à se saisir de la question en réinvestissant l’institution. La conclusion de cette longue tribune sonne comme un appel : « à défaut, il faudra cesser de se plaindre du fait que les Etats-Unis s’en détournent et que la Chine y joue sa partition en solo ».
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