Tensions en vue entre le gouvernement Biden et l’Union européenne
La plupart des pays d’Europe se réjouissent du fait qu’après avoir été bousculés par le gouvernement Trump sur bien des enjeux (retrait de l’Accord de Paris, répudiation de l’OTAN, désengagement de l’OMS), ils retourneront, avec le gouvernement de Joe Biden, à une relation de bon ton avec le continent. Mais cette relation ne pourra faire l’économie de certains litiges qui l’ont marquée au cours des dernières années. Parmi ceux-ci : le gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne.
Ce gazoduc de la compagnie russe Gazprom soutenu par d’importants groupes énergétiques européens est pourtant achevé à 95 %, avec plus de 10 milliards d’euros déjà investis.
Le projet comporte l’installation de 1200 km de tuyaux sous la mer Baltique et suit un parcours parallèle à celui de Nord Stream 1, mis en service en 2012, avec le transport de 55 milliards de mètres cubes par an. Comme son prédécesseur, Nord Stream 2 contourne l’Ukraine, pays avec lequel la Russie a une relation houleuse, ce qui a déjà entraîné des coupures d’approvisionnement en plein hiver, en 2006 et en 2009.
Présentement, l’Union européenne dépend à 40 % de la Russie pour ses importations de gaz naturel. Avec la mise en service de Nord Stream 2, qui permet de doubler l’acheminement de gaz russe vers le continent, la crainte des Américains est que la dépendance de l’Europe envers un approvisionnement trop important de gaz provenant de la Russie accroîtra considérablement sa vulnérabilité, procurant à la caste dirigeante à Moscou un pouvoir de coercition sur sa sécurité énergétique — et qu’elle accroîtra d’autant l’emprise de Moscou sur l’Ukraine, auquel elle pourra couper les vivres sans affecter le reste de l’Europe. Bref, Moscou auradavantage les coudées franches endécouplant deux pays ou régions distincts qui seront en état de dépendance envers son gaz.
La crainte de Washington est telle que, fin 2019, le gouvernement Trump a adopté le Protecting Europe’s Energy Security Act, prévoyant des sanctions musclées contre les entreprises participant au projet, ce qui a forcé une pause dans les travaux de construction. La position américaine n’est pas dénuée de motivations commerciales. La flambée de la production de gaz aux États-Unis grâce à la fracturation hydraulique lui a permis de devenir,en fort peu de temps, le troisième exportateur mondial de gaz, après le Qatar et l’Australie. Plus du tiers des exportations américaines de gaz prennent le chemin de l’Europe.
Les Allemands indisposés
La position américaine n’est pas sans heurter ses alliés, surtout les Allemands. Ceux-ci dénoncent l’ingérence américaine, qu’ils voient comme une attaque à leur souveraineté et un obstacle dans leurs efforts de faire la transition du charbon vers des énergies moins polluantes, et hors du nucléaire, en raison des risques d’accidents graves, comme celui de Fukushima au Japon.
Le gaz acheminé par la Russie a une vocation essentiellement commerciale, arguent-ils, et donne aussi à l’Allemagne un effet de levier pour influencer le géant russe, qui a effectivement besoin de ces revenus pour nourrir son budget. Il n’aurait donc pas intérêt à jouer sur les nerfs de ses clients en attachant ses approvisionnements à des enjeux politiques. L’an dernier, l’Europe a reçu pas moins de 70 % des ventes totales de Gazprom.
En mai 2018, l’UE a lancé aux Russesun message clair en imposant un jugement sévère à Gazprom. Celui-ci l’oblige, sous réserve de sanctions, à respecter les règles de saine concurrence, essentiellement pour l’empêcher de tirer profit de sa position de fournisseur dominant pour se donner des avantages indus, notamment dans les pays d’Europe centrale et de l’Est.
Ce mégaprojet Nord Stream 2, à qui il ne manque qu’une centaine de kilomètres de tuyaux à poser, va-t-il voir le jour ? Un premier bras de fer géopolitique entre le nouveau gouvernement américain et son proche allié, l’Allemagne, et l’Union européenne, se dessine clairement.
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