« Trump peut disparaître de la vie politique, pas ses électeurs »
Game over pour Donald Trump. Mais le président des États-Unis, a du mal à lâcher la partie. Hier encore, ce va-t-en guerre appelait à marcher sur le Capitole pour expliquer la vie aux membres du Congrès. On a vu le résultat : le chaos et des images incroyables d’hurluberlus déguisés, de dangereux fachos envahissant la représentation de la démocratie américaine. Didier Combeau, professeur et spécialiste des États-Unis fait le point.
On craignait des manifestations violentes lors des élections présidentielles, finalement, elles ont eu lieu lors des sénatoriales. Ce qui s’est passé, mercredi 6 janvier devant le Capitole à Washington, était-il prévisible ?
Didier Combeau : C’est quelque chose de totalement inédit et hors norme. Ce n’est pas un coup d’État comme on a pu l’entendre, mais un coup de force des militants trumpistes les plus déterminés. Donald Trump a constamment jeté de l’huile sur le feu. Sa prise de parole où il appelle ses partisans à rentrer pacifiquement chez eux, tout en leur disant qu’il les aime, n’est pas une condamnation de cette jacquerie. Même son appel au calme est ambigu.
À voir les images des chaînes infos américaines, les manifestants ne semblaient pas si nombreux. On entre au Capitole (le Congrès des États-Unis) comme dans un moulin ?
Il y a sûrement eu des manquements en terme de sécurisation du Capitole mais, tout comme à la Cour suprême, il est assez facile d’entrer dans les institutions. Cela fait partie de la conception de la démocratie américaine. Les forces de police ont sans doute voulu éviter les incidents. Ce qui s’est passé est déjà assez grave avec une militante trumpiste tuée dans l’enceinte. On parle également d’autres morts en marge de cette manifestation, sans que tout ceci ne soit encore éclairci. Quant au nombre de manifestants, il est vrai qu’il n’y avait pas une foule immense. Et heureusement. Un sondage montre que près de quatre Américains sur dix ont des doutes quant à la sincérité de l’élection. En bref, ils pensent que la présidentielle a été truquée.
Pourtant, récemment, c’est encore Donald Trump qui a encouragé son vice-président à truquer les élections…
Oui, jusqu’au bout il a nié la réalité. Cela joue même contre son camp qui commence, seulement, à le lâcher. Par exemple, en Géorgie, deux postes de sénateurs étaient à pourvoir. Les candidats Républicains pouvaient axer leur campagne sur l’importance de conserver une opposition républicaine au Sénat, dernier rempart pour éviter la concentration de tous les pouvoirs dans les mains de Joe Biden. Mais, comme Trump ne reconnaissait pas sa défaite, pas facile pour ces sénateurs de faire valoir leurs arguments. Finalement, ils ont perdu leur siège. Et, ces deux sièges qui reviennent aux Démocrates donnent la majorité à Biden.
Sans Trump, que vont devenir les trumpistes ?
C’est toute la question ! Les Républicains peuvent-ils représenter, de manière moins clivante que Trump, ces électeurs qui se recrutent dans le camp des évangélistes, des catholiques ultra et des laissés pour compte de la société ? Ces derniers, hommes blancs déclassés, considèrent que la société américaine multiraciale ne les représente plus.
La société américaine est de plus en plus clivée entre les minorités afros ou hispaniques, qui seront bientôt majoritaires, et ceux qui se sentent laissés pour compte : les Blancs des zones non urbanisées ou désindustrialisées, des hommes souvent peu diplômés qui estiment que tout est fait pour les Noirs ou les Hispaniques, et rien pour eux.
C’est un ressenti ou une réalité ? Peut-on vraiment dire que le sort des Noirs et des Hispaniques soit enviable aux États-Unis… ?
Il n’est pas évident d’être Noir ou Hispanique mais le parti Démocrate n’est plus celui de Franklin Roosevelt qui s’adressait aux classes populaires. Il s’adresse désormais beaucoup aux communautés et il y a une atmosphère générale, dans les milieux intellectuels du moins, en faveur de la lutte pour les droits des minorités. Des politiques spécifiques ont d’ailleurs été mises en œuvre pour favoriser l’emploi, pour lutter contre les discriminations envers ces publics spécifiques. Or, les électeurs de Trump estiment qu’octroyer des droits à ces minorités se fait au détriment de leurs intérêts. Il faut bien comprendre que les États-Unis ne connaissent pas la lutte des classes. La question « raciale » est le facteur tout à la fois structurant et clivant du pays. Avant Trump, il n’y avait peu de représentation de ces hommes Blancs qui refusent le multiculturalisme. Donald Trump peut s’effacer de la vie politique, passer la main, comme il semble enfin l’accepter, les trumpistes, eux, ne disparaitront pas comme par magie.
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