Le «grand mensonge» de Donald Trump menace toujours la démocratie américaine
C’est le prix à payer pour la défense de la vérité. Liz Cheney, numéro 3 du Parti républicain au Congrès et présidant la Conférence du parti au sein du pouvoir législatif américain, est menacée de perdre son poste mercredi par vote. La raison ? Son opposition à Donald Trump et aux accusations non fondées du populiste de fraude électorale afin d’expliquer sa défaite en novembre dernier.
La sanction a été orchestrée par plusieurs de ses collègues au sein du Parti républicain qui, dans une quasi-unanimité, ont décidé de redonner de la vigueur au « grand mensonge » voulant que Joe Biden ait « volé » le scrutin pour devenir président. Une adhésion à cette réalité « alternative » qui s’exprime désormais comme le gage incontournable de leur soutien à l’ex-président, et ce, même si la promotion de ce mensonge représente désormais une menace tant sur la démocratie américaine que sur la confiance des citoyens envers les institutions publiques du pays.
« Dans ces circonstances, la survie de la démocratie américaine devient effectivement de plus en plus problématique, résume en entrevue au Devoir Mack Shelley, directeur du Département de science politique de l’Iowa State University. Toute la stratégie derrière ce “grand mensonge” est de nier la légitimité du processus électoral, mais également celle des décisions prises par des élus qui ont décidé de ne pas soutenir Donald Trump. Son emprise sur le Parti républicain est toujours très forte. »
« Une grande partie de l’électorat risque de ne pas croire à l’avenir à toute victoire du Parti démocrate dans les Swing States [ces États qui changent souvent d’allégeance politique], et ce, à moins que Donald Trump devienne nettement moins populaire parmi les électeurs républicains ou qu’il admette un jour sa défaite, relève de son côté le politologue Cory Manento, du Trinity College, joint au Connecticut. Et aucune de ces deux choses n’a de chances de se produire, sans l’appui explicite des dirigeants du Parti républicain du moins. »
Propagande
L’existence d’une fraude électorale, promue par l’ex-président, a été invalidée plus d’une fois par les autorités électorales de l’ensemble des États américains, y compris dans les États républicains. Elle l’a été aussi par des dizaines de tribunaux au pays, au terme de procédures judiciaires massives intentées par les proches du président pour faire annuler les résultats du vote de la présidentielle. Sans succès de leur part, en raison de l’absence de preuve soutenant leur thèse d’une fraude.
« Les élus républicains ne croient peut-être pas réellement à ce mensonge, mais dans la plupart des cas, ils doivent suivre la machine de propagande pro-Trump, estime Mack Shelley. C’est leur seule façon d’être nommés ou renommés à un poste électif lors des primaires du parti qui s’en viennent en vue des élections de 2022. Ce problème est aggravé par le fait que les finances de leur campagne dépendent également en très grande partie de contributeurs fortement pro-Trump. »
Plus de 70 % des électeurs républicains croient toujours, plus de six mois après les élections, à l’existence d’une fraude électorale pour expliquer la défaite de leur candidat en novembre dernier, selon un sondage CNN réalisé fin avril. « L’électorat républicain est bombardé presque toute la journée de propagande alimentant ce “grand mensonge” par les médias d’information de droite et des personnes influentes, poursuit M. Shelley. Dans cette chambre d’écho, il est presque impossible de les convaincre d’y résister. »
C’est pourtant ce que Liz Cheney cherche à faire depuis plusieurs semaines. « L’histoire nous regarde », a écrit la politicienne du Wyoming, une conservatrice de longue date et fille de l’ex-vice-président Dick Cheney, apprécié des républicains en son temps, dans une lettre adressée à ces collègues qui se préparent à lui retirer son poste. « Les républicains doivent défendre des principes véritablement conservateurs et s’éloigner du culte de la personnalité de Donald Trump, culte dangereux et antidémocratique », selon elle.
Confiance minée
Dans la course pour remplacer Liz Cheney à la Conférence républicaine du Congrès, la favorite est la représentante de New York, Elise Stefanik qui a embrassé publiquement le « grand mensonge » alimenté par Trump sur la fraude électorale. Dans les dernières semaines, elle a également applaudi au recomptage judiciaire des bulletins de vote — le troisième depuis les élections — dans le comté de Maricopa, le plus populeux de l’Arizona où les républicains réitèrent régulièrement leur allégeance au populiste, après le passage de l’État dans le camp démocrate en novembre dernier. À la surprise générale.
« Cette stratégie fonctionne », a estimé la semaine dernière l’ex-élu républicain à la Chambre Denver Riggleman, qui a perdu une investiture en Virginie aux mains d’un opposant pro-Trump. « Le plus important, c’est la victoire. Si vous pensez pouvoir gagner en attisant les flammes de la désinformation, pourquoi ne le feriez-vous pas ? Si vous n’avez aucune intégrité », a-t-il dit sur les ondes de MSNBC.
« Après avoir perdu la Chambre, le Sénat et la présidence en 2020, les républicains auraient pu considérer cela comme le signe qu’ils n’avaient pas le bon message pour atteindre les électeurs, observe Cory Manento. À la place, les leaders du parti ont préféré nier, implicitement ou explicitement, la défaite et continuent à attaquer l’intégrité des institutions démocratiques. Franchement, je suis sceptique face à une stratégie électorale qui consiste à dire aux électeurs potentiels que l’élection dans laquelle ils sont sur le point de voter pourrait être frauduleuse. »
Vendredi dernier, Donald Trump a une fois de plus tenu à ranimer la flamme de la fraude faussement alléguée. Dans une déclaration, il a dénoncé des volumes de vote élevés en faveur de Joe Biden, arrivés au lendemain du scrutin, et qui ont donné le Wisconsin et le Michigan au démocrate en novembre 2020.
Rappelons que la pandémie a amplifié le vote par anticipation l’an dernier. Par ailleurs, dans plusieurs États, les républicains se sont opposés à ce que ce vote soit comptabilisé au moment de sa réception, évitant ainsi que les résultats ne soient dévoilés entièrement le soir du vote. La stratégie a donné un terreau fertile pour y faire grandir l’idée d’une fraude fondée surtout sur l’incompréhension du processus électoral anticipé et sur l’impossibilité de l’ex-président d’accepter la défaite.
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