Aux États-Unis, « le réflexe de la police est le recours à la force »
Le décès d’une adolescente de 14 ans causé par une balle perdue lors d’une intervention policière à Los Angeles émeut et interroge sur les techniques d’intervention employées par les forces de l’ordre américaines.
• Élise Da Silva Griel
Valentina Orellana-Peralta s’imaginait dans le pays « le plus sûr du monde ». Elle y est morte à 14 ans, victime d’une balle perdue tirée par la police. Le 23 décembre, l’adolescente récemment émigrée du Chili, se trouvait avec sa mère dans la cabine d’essayage d’un magasin de vêtements de North Hollywood, près de Los Angeles, lorsque des policiers sont intervenus pour mettre fin à l’agression d’une cliente par un homme de 24 ans.
L’un des appels d’urgence mentionnait un homme armé d’un lourd cadenas de vélo ; un autre évoquait une arme à feu et des tirs. À leur arrivée, les policiers ont découvert une femme en sang. L’un d’entre eux a tiré à trois reprises, tuant le suspect. Selon les premiers éléments de l’enquête, une balle aurait ricoché sur le sol et traversé le mur de la cabine d’essayage avant de mortellement blesser Valentina Orellana-Peralta.
Incompréhension et critiques
Le chef de la police de Los Angeles, Michel Moore, a présenté ses excuses à la famille de la jeune fille et s’est engagé à faire toute la lumière « sur les circonstances qui ont mené à cette stratégie ». Ces déclarations n’ont dissipé ni l’incompréhension ni les critiques suscitées par les méthodes d’intervention des forces de l’ordre.
« Il est inacceptable que des policiers de Los Angeles aient pu ouvrir le feu dans un magasin bondé au plus fort des achats de Noël sans savoir avec certitude si le suspect était armé », s’est ainsi indigné Domingo Garcia, président de Lulac, une organisation de défense des droits civiques des Américains d’origine hispanique.
« Le réflexe est le recours à la force, constate Didier Combeau, politologue, spécialiste des États-Unis et chercheur associé à l’Institut des Amériques. Lorsque les policiers interviennent dans un lieu public et qu’une arme à feu a été mentionnée – comme c’était le cas ici –, la doctrine habituellement employée consiste à neutraliser le suspect le plus vite possible afin de limiter le nombre de victimes. » Cette technique d’intervention s’est massivement répandue après la fusillade de Columbine, en 1999, qui avait fait une quinzaine de victimes.
Mais cette approche conduit à des drames. Et sa pertinence est d’autant plus discutable que les policiers américains sont régulièrement appelés pour des situations impliquant des personnes souffrant de troubles mentaux.
« Environ 10 % des appels au numéro d’urgence concernent des problèmes psychiatriques », chiffre Didier Combeau. Au total, 1 051 personnes ont été tuées par la police en 2021, selon le site Mappingpoliceviolence.org, un nombre stable depuis 2013.
Mieux former aux techniques de désescalades
Depuis quelques années, les départements de police essaient de mieux former aux techniques de désescalade, initiées au début des années 2010. « Elles consistent à être capable d’évaluer la situation, de maîtriser les méthodes de négociation et d’avoir des connaissances dans les domaines de la psychologie et de la psychiatrie », détaille David Combeau.
Si la hiérarchie y est favorable, les policiers en uniforme expriment des réticences. « Pour eux, c’est plus difficile car cela va à l’encontre de la culture policière qui établit que la force doit rester à la loi et qu’ils doivent systématiquement avoir le dessus », ajoute le spécialiste.
La question de la réforme de la formation des policiers n’est pas nouvelle. Déjà en 2015, un rapport du Police Executive Research Forum (Perf) notait qu’un policier avait en moyenne quarante-neuf heures de formation dévolues aux techniques de défense contre seulement dix dédiées à celles de communication.
La mort de Valentina Orellana-Peralta s’inscrit par ailleurs dans un contexte national de hausse des violences. Depuis le début de l’année 2021, 687 fusillades ayant fait au minimum quatre victimes – qu’elles soient blessées ou tuées – ont été recensées par Gun Violence Archive. Rien qu’à Los Angeles, 325 homicides ont eu lieu du 1er janvier au 23 octobre 2021, contre 218 sur la même période en 2019.
Cette augmentation des actes violents est corrélée à celle des armes à feu. Il s’en est vendu près de 23 millions en 2020, un record, selon la firme spécialisée Small Arms Analytics & Forecasting. Elle pourrait également être en partie imputée aux incertitudes causées par le Covid-19, dans un pays où l’inquiétude se traduit souvent par l’achat d’une arme.
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