Peu après avoir déclaré leur indépendance et gagné une guerre contre l’Angleterre pour l’établir, les Américains ont mis sur pied un système de gouvernement fondé sur un équilibre délicat. Un système de contre-pouvoirs – ou « checks and balances », dans la version originale.
À l’époque, on avait tellement peur du retour, sous une forme ou sous une autre, d’un roi ou d’une puissance absolue qu’on a tout fait pour ne pas laisser à une seule personne les principaux pouvoirs de l’État. Le président devrait faire des compromis avec le pouvoir législatif – le Congrès – qui, lui, n’aurait d’autre choix que de chercher des compromis avec le président.
On pourrait croire que ce difficile équilibre a bien fonctionné pendant plus de deux siècles, mais il risque d’avoir été rompu par l’élection de Donald Trump.
On ne parle pas ici d’un problème de nature démocratique. Les Américains auront exactement le gouvernement qu’ils ont choisi en toute connaissance de cause.
Mais le résultat du vote de mardi montre que les partis politiques n’ont pas su jouer leur rôle. Les démocrates n’ont pas su convaincre un président Joe Biden vieillissant et dont on pouvait douter des capacités à renoncer à un second mandat, qui aurait été au-dessus de ses forces. Le remplacer par la vice-présidente Kamala Harris moins de quatre mois avant l’élection relevait, dès le départ, d’une mission impossible.
Les républicains n’ont pas su convaincre Donald Trump, qui a été accusé de pas moins de 88 infractions criminelles – dont quatre pour son rôle dans ce qui fut une tentative de coup d’État ratée, le 6 janvier 2021 – que la simple décence lui demandait de ne pas se présenter à nouveau devant les électeurs. Mais le parti d’Abraham Lincoln est devenu le parti MAGA, le mouvement des partisans de Donald Trump.
Maintenant, qu’y aurait-il pour empêcher Donald Trump d’utiliser ses pouvoirs pour faire exactement ce qu’il a dit dans sa campagne électorale ?
Comme d’utiliser la force militaire contre ses opposants politiques, de nommer des juges complaisants – comme ceux de la Cour suprême qui lui ont pratiquement donné une immunité absolue tant qu’il est président – à tous les niveaux et d’utiliser tous les moyens de l’État pour se venger de ceux qu’il considère comme des « ennemis de l’intérieur » ?
À première vue, donc, Trump a les mains libres et n’a plus vraiment de contre-pouvoirs pour limiter son action. Mais la réalité est quelque peu différente. D’autres contre-pouvoirs moins formels existent, et le président ne pourra pas les ignorer.
À commencer par l’opinion publique. On dira ce que l’on voudra, mais Donald Trump a toujours eu un sens inné pour sentir si une majorité de l’électorat allait le suivre ou s’il l’empêcherait de procéder.
Un exemple : M. Trump a dit et redit que le mot « tarifs » était le plus beau du dictionnaire. Mais la grande majorité des économistes croient que l’imposition de tarifs risque vraiment de faire exploser l’inflation. Croyez-vous réellement qu’un président qui vient d’être élu en grande partie parce que son adversaire a laissé l’inflation devenir une véritable crise nationale prendra ce genre de mesures ?
Même chose pour les expulsions massives d’immigrants irréguliers, qui avaient été promises en 2016 et qu’il n’a jamais même envisagées sérieusement. Parce qu’on ne peut pas expulser autant de gens qui ont des emplois sans créer des perturbations économiques majeures.
Comme si ses électeurs savaient par instinct qu’avec Trump, on doit toujours en prendre et en laisser. Sa base électorale est très fidèle, mais elle ne prend pas nécessairement au pied de la lettre tout ce qu’il dit.
Cela dit, M. Trump a beaucoup promis. Ce sera l’âge d’or de l’Amérique. Il a promis de réparer « tout ce qui a été brisé » aux États-Unis. Vaste programme et obligation de résultat. Et n’oublions pas que c’est en grande partie son incapacité à livrer ses promesses qui a causé sa défaite en 2020.
Mais il ne faut pas pour autant minimiser l’effet qu’aura le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche le 20 janvier prochain.
Avec le contrôle probable des deux chambres du Congrès, il aura toute la latitude pour nommer des juges conservateurs, ce qui sera d’autant plus facile que le ressac attendu sur l’avortement ne s’est pas matérialisé aux urnes.
Mais la grande leçon de cette élection, c’est qu’en politique américaine, c’est encore la question de Ronald Reagan en 1980 qui est la meilleure stratégie : « Êtes-vous dans une meilleure situation qu’il y a quatre ans ? »
Le prix du plein d’essence, de la douzaine d’œufs ou du pain tranché a, finalement, beaucoup plus d’importance pour la classe moyenne que des sujets moins quotidiens comme le droit à l’avortement.
Résultat : le nouveau président des États-Unis aura plus de pouvoirs qu’aucun de ses prédécesseurs immédiats. Mais il devra aussi se souvenir qu’il doit ce pouvoir à une récession postpandémique dont il est, qu’il le veuille ou non, au moins en partie responsable.
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