They are not just stars, they are icons. This clash of titans affects us all.
The Noongar Aboriginal tribes of southwestern Australia fall into two iconic groups: the white cockatoo and the black crow. In native languages, the first bird is called “the catcher,” and the second “the watcher.” From these nicknames, we can already infer a “community of moods and temperaments,” as anthropologist Philippe Descola said, that binds not only humans, but also landscapes, objects and animals. Symbolism is a powerful thing.
Today, given the declining hegemony of the United States, our two great icons are Elon Musk and Taylor Swift. The televised debate this week between the U.S. presidential candidates was nothing more than ritualized fight between the two tribes. It was on Elon’s advice that Donald Trump entrusted Musk with auditing the federal government if Trump wins. Swift announced she would endorse the Democratic candidate because she considers Harris to be the “warrior who can defend those causes that are dear to her. It is not the entrepreneur and singer who support the politicians; it's the other way around: Trump and Harris descend into the arena, while Musk and Swift point their thumbs up or down.
People have already pointed out that these two figures embody what sociologists call the electoral “gender gap.” For several years, young women in the West have been voting for the left while young men have been voting right. This movement is not simply a question of morals. Of course, Swift defends “LGBTQ+ rights, IVF and women’s right to their own bodies" while Elon Musk declares war on the “woke mind virus.” Of course Swift plays with the image of “cat lady,” while Musk boasts about spreading his sperm all over the planet. But above all, this movement involves two relationships in the world; the whole principle of symbolism. If you look around, you’ll be able to say this is Musk and this is Swift. If the two communities -– Swifties and Muskians -– are so powerful, it is because they are both meta-narratives of the modern world.
Tweets for Friendship Bracelets
Consider the foundation of humanity: the ability to communicate. Musk has often expressed his immense frustration. While the flood of information in our heads is abundant, we can only introduce it drop by drop through speech and writing. Hence the neutral chip that he would like to implant inside us to widen this bottleneck. Swift, on the other hand, showcases the slowness and permanence of words. In the video “Fortnight,” she types in front of file cabinets, and at the end of the song “Closure,” she informs the man who hurt her that yes, she is doing better, yes, she got his letter. One wants to speed up, the other to decant. Another example: Muskian speech spreads from post to post, through the false horizontality of cyberspace, while Swifties forge bonds through “friendship bracelets,” made and exchanged by hand. In the first case, there is only relay, in the second, reappropriation.
It has often been said that Musk is a techno-utopian, bent on electric cars and space conquest. Thinking about it, his aesthetic is tinged with a color that is more ochre, more twilight, more cyberpunk: If we must colonize space, it will be to prevent us, the “little candle of consciousness” in the universe, from going out; if we must regulate artificial intelligence, it is because this new life form could crush us. Conversely, Swift leans toward the cottage core, with its wood fire and rain on the windows; where technology is friendly, appropriate, and less worrisome (some would say “unthinking”). Do Swift and Musk embody the clash of the titans, as identified by Philosopher Tristan Garcia, between “the metaphysics of results,” which clings to frameworks, hierarchies, and the logic of power and the “metaphysics of flow,” which aims to blur categories, soften edges and promote benevolence?
The Time of Myth
Not quite. While Swift’s feminism undermines conservative codes -– the white country girl — it takes on the fairly classic codes of success through hard work, personal genius and financial standing (the singer burns as much jet fuel as the Tesla boss). As for Musk, he still sometimes refers to the science fiction writer Iain Banks, who imagined a world without money, property or hierarchy (perhaps he did not fully grasp the political substratum of the “Cultural Cycle”). To put it simply, the former was stolen by the Democrats from the Republicans, while the latter was stolen by the Republicans from the Democrats. This is a typical case of chimera multiplication, as identified by anthropologist Natassja Martin, who asserts that the world periodically transforms: Havoc is wreaked on all landmarks, humans have no defined status and they are searching for one another. The Gwich’in of North America calls this the “Time of Myth.” Perhaps we are already there, or maybe it will take a few years until we know who will win this cosmogonic battle.
Elon Musk contre Taylor Swift : qui sortira vainqueur de ce combat cosmogonique ?
Ce ne sont pas seulement des stars, ce sont des totems. Ce choc des titans nous concerne tous.
Les tribus aborigènes Noongar du sud-ouest de l’Australie se divisent en deux groupes totémiques : le cacatoès blanc et le corbeau noir. Dans les langues autochtones, le premier oiseau est nommé « l’attrapeur », le second « le guetteur ». De ces appellations on peut déjà inférer la « communauté des humeurs et des tempéraments », comme le dit l’anthropologue Philippe Descola, qui lie non seulement les humains, mais aussi les paysages, les objets et les animaux. Le totémisme est une chose puissante.
Aujourd’hui, soumis à l’hégémonie déclinante des Etats-Unis, nos deux grands totems sont Elon Musk et Taylor Swift. Le débat organisé cette semaine entre les candidats à la présidentielle américaine n’était qu’un combat ritualisé entre ces deux tribus. C’est « sur les conseils d’Elon » que Donald Trump a proposé de lui confier un « audit » de l’Etat fédéral en cas de victoire ; c’est parce qu’elle juge que Kamala Harris est la « guerrière qui peut défendre » les causes qui lui sont chères que Swift a annoncé qu’elle voterait pour les démocrates. Ce ne sont pas l’entrepreneur et la chanteuse qui soutiennent les politiques, c’est l’inverse : Trump et Harris descendent dans l’arène, tandis que Musk et Swift pointent leurs pouces vers le haut ou vers le bas.
Il a déjà été relevé que ces deux figures incarnent ce que les sociologues appellent le « gender gap » électoral. Dans le monde occidental, depuis quelques années, les jeunes femmes votent à gauche tandis que les jeunes hommes se raidissent à droite. Ce mouvement n’engage pas qu’un simple rapport aux mœurs. Certes, Swift défend « les droits LGBTQ +, la PMA et le droit des femmes à disposer de leur corps » tandis que Musk déclare la guerre au « virus woke ». Certes, Swift joue avec l’image de la « femme à chats » quand Musk se targue d’avoir disséminé son sperme tout autour de la planète. Mais ce mouvement engage surtout deux rapports au monde ; c’est tout le principe du totémisme. Regardez autour de vous : vous devriez être capable de dire : « Ah, ça, c’est Musk et ça, c’est Swift ». Si les communautés d’exégèses – swifties contre muskiens – sont si puissantes, c’est parce que ce sont les deux méta-récits du monde moderne.
Tweets contre bracelets d’amitié
Prenez le fondement de notre humanité, la capacité à communiquer. Musk a souvent fait part de son immense frustration. Alors que le flot d’informations sous nos crânes est abondant, nous ne pouvons que le distiller goutte-à-goutte par la parole ou l’écriture. D’où les puces neuronales qu’il aimerait nous implanter pour élargir ce goulot d’étranglement. Swift, au contraire, met en scène la lenteur et la permanence des mots. Dans le clip « Fortnight », elle tape à la machine devant des tiroirs d’archivistes, et à la fin de la chanson « Closure », elle informe l’homme qui l’a blessée que yes, she is doing better, yes she got his letter (« oui, elle va mieux, oui, elle a reçu sa lettre »). L’un veut accélérer, l’autre décanter. Autre exemple : la parole muskienne se répand de tweets en tweets, à travers la fausse horizontalité du cyberspace, quand les liens tissés par les swifties sont matérialisés par les « bracelets de l’amitié », fabriqués et échangés de main à main. Dans le premier cas, il n’y a que relais, dans le second, réappropriation.
Il a souvent été dit que Musk est un techno-utopiste, tendu vers les voitures électriques et la conquête spatiale. A bien y regarder, son esthétique est teintée de couleur plus ocre, plus crépusculaire, plus cyberpunk : s’il faut coloniser l’espace, c’est pour éviter que ne s’éteigne la « petite chandelle de conscience » que nous sommes dans l’univers ; s’il faut réguler l’intelligence artificielle, c’est parce que cette nouvelle forme de vie pourrait nous écraser. A l’inverse, Swift penche du côté du cottage core, ambiance feu de bois et pluie sur les vitres ; la technologie y est conviviale, appropriée, peu inquiétante (certains diront « impensée »). Swift et Musk incarneraient-ils le choc des titans, identifié par le philosophe Tristan Garcia, entre « la métaphysique du résultat », qui s’agrippe aux cadres, aux hiérarchies, à la logique de puissance, et la « métaphysique du flux », qui vise à brouiller les catégories, à en adoucir les bordures, à valoriser la bienveillance ?
Temps du mythe
Pas tout à fait. Si le féminisme de Swift subvertit des codes conservateurs – la country girl blanche –, il reprend ceux, assez classiques, de la réussite par le travail, le génie personnel et la surface financière (la chanteuse crame d’ailleurs autant de carburant de jet que le patron de Tesla). Quant à Musk, il lui arrive encore de se revendiquer de l’écrivain de SF Iain Banks, qui imaginait un monde sans argent ni propriété ni hiérarchie (peut-être n’a-t-il pas saisi tout le substrat politique du « Cycle de la Culture »). Pour simplifier, on pourrait dire que la première a été volée aux Républicains par les Démocrates tandis que le second a été piqué aux Démocrates par les Républicains. C’est un cas typique de prolifération de chimères, identifié par Nastassja Martin. Périodiquement, nous dit l’anthropologue, le monde fait sa mue : tous les repères sont bouleversés, les êtres n’ont pas encore de statut défini et se cherchent. Chez les Gwich’in d’Amérique du Nord, on appelle cela le « Temps du mythe ». Peut-être y sommes-nous, et peut-être faudra-t-il quelques années avant de savoir qui sortira vainqueur de ce combat cosmogonique.
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