The American Press: Muzzling Itself in 140 Characters

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Sur les réseaux sociaux, Donald Trump aboie et les journalistes américains enfilent leurs muselières. C’est en tout cas ce que laissent penser deux récents scandales en 140 caractères qui ont agité la presse américaine.

En poste à Politico, Julia Ioffe, 34 ans, est une étoile montante, télégénique et à la plume acérée, courtisée et publiée par les titres les plus prestigieux. Mercredi, réagissant à l’information (démentie depuis) selon laquelle Ivanka Trump occuperait à la Maison Blanche le bureau traditionnellement réservé à la Première dame, Julia Ioffe tweete : «Soit Trump baise sa fille, soit il esquive les lois sur le népotisme. Qu’est-ce qui est le pire ?»

Tollé immédiat, tweet supprimé, excuses. Les trolls pro-Trump, pourtant si adeptes du «politiquement incorrect», réclament sa tête. Ioffe est en effet une des bêtes noires de l’alt-right, frange suprémaciste de la droite américaine particulièrement active sur les réseaux. En avril, elle avait été la cible de menaces et d’insultes antisémites particulièrement violentes après son enquête consacrée à Melania Trump publiée dans GQ.

Pour se défendre, Ioffe a beau poster la vidéo où Donald Trump explique qu’il «sortirait» avec Ivanka si elle n’était pas sa fille, le couperet tombe deux heures plus tard. Ioffe est virée pour son tweet «inacceptable et en violation des standards» du site référence du Tout-Washington. Dans un mail interne, la direction de Politico martèle la politique maison : ses reporters «représentent la publication à n’importe quelle heure et sur n’importe quelle plateforme. Les opinions gratuites n’ont pas leur place dans notre travail et aucune valeur pour nos lecteurs.» Sachant que Ioffe était en partance pour le mensuel The Atlantic, son renvoi apparaît d’autant plus zélé.

Une semaine avant, Liz Spayd, la médiatrice du New York Times (NYT) avait accablé sa rédaction lors d’un passage sur Fox News, la chaîne conservatrice. Face à l’animateur surjouant l’outrage devant des tweets de reporters du NYT, Spayd avait concédé que ces derniers avaient «franchi une ligne» et auraient dû en subir «les conséquences». Les messages incriminés, bien que politiquement colorés, n’ont rien d’insultants. Surtout comparés à ceux du président élu envers ce qu’il appelle le «New York Times en faillite». Après la bronca provoquée par ce manque de solidarité, la médiatrice est revenue sur ses propos, mais a appelé à la prudence et à l’objectivité. Les faits, juste les faits, à l’heure de la «post-vérité». Pour le spécialiste des médias Jay Rosen, la position de Spayd est «mauvaise, au point d’être rétrograde».

La presse américaine se muselle en 140 caractères

De son côté, Trump multiplie les attaques ad hominem sur le réseau (il a fallu au NYT deux pages en petits caractères pour les reproduire) et retweete un ado de 16 ans s’attaquant à une vedette de CNN. Une ironie soulignée par Julia Ioffe : «Nous avons un président qui a popularisé le “dire ce que tout le monde pense”, mais j’imagine que ma tournure de phrase aurait dû être plus subtile.» Et cette spécialiste de la Russie, née à Moscou, d’ajouter : «Le Kremlin est rarement obligé d’appeler les médias. Ce sont les directeurs de rédactions qui anticipent et s’autocensurent.» Kellyanne Conway, la «manager» de campagne de Trump, s’est empressée de relayer l’annonce du renvoi de Ioffe. Sur Twitter, en guise de biographie, la probable future directrice de la communication présidentielle a simplement indiqué : «Nous avons gagné». Etat de fait ou avertissement, peu importe. Face à un futur président qui fait des confettis des usages, prétendre que tout est normal et redoubler de politesse, n’est-ce pas déjà baisser la garde ? Trump mérite d’être combattu avec ses armes.

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