Ici, aujourd’hui, nous n’allons pas vous proposer une analyse des crises multiples dans lesquelles est empêtré le Liban, ou du moins de leurs derniers développements. Cela est fait régulièrement et avec talent dans ce même espace. Et il nous semble que tout a été dit. Du moins jusqu’à présent.
Aujourd’hui, l’enlisement est total. Aucune percée, que ce soit sur le front du cabinet ou des réformes. Il y a bien eu le show de Nabih Berry lors de l’annonce de l’accord-cadre sur les négociations pour la délimitation des frontières maritimes avec Israël. Une avancée dont nous nous sommes déjà demandé si elle était le signe que le tandem chiite, sous pression de l’administration américaine, allait lâcher du lest à un niveau ou un autre.
Quoi qu’il en soit, tout, y compris le nouveau délai accordé par Emmanuel Macron lors de son intervention amère dimanche dernier, semble converger vers la même conclusion : nous sommes partis pour des semaines d’une attente bourbeuse. Quatre semaines pour être précis.
Car aujourd’hui, c’est entre les mains des Américains, des Américains lambda, que notre sort semble être remis. Aujourd’hui, il nous faut attendre que des électeurs, grands et petits, à des milliers de kilomètres du Liban, décident s’ils reconduisent ou pas à la Maison-Blanche un homme incohérent et imprévisible.
En attendant, à Beyrouth, Saïda, Nabatiyé, Tripoli ou Baalbeck, l’on continue de s’enfoncer à mesure que l’avenir s’étiole. Et l’on regarde, plombés par un terrible sentiment d’impuissance, le Liban disparaître. Une perspective contre laquelle avait mis en garde, il y a plus d’un mois déjà, le ministre français des Affaires étrangères.
Voici ce à quoi ressemblent les signes de la disparition d’un pays.
Un pays qui disparaît, c’est un pays que fuient, le cœur en lambeaux, ses talents. Des jeunes éduqués et pleins d’idées qu’ils vont faire germer… ailleurs. Des médecins, parmi les plus talentueux au monde, qui soigneront des patients… ailleurs. Des architectes, des ingénieurs, qui iront construire des villes… ailleurs. Des artistes qui couvriront les murs de galeries… ailleurs.
Un pays qui disparaît, c’est un pays où les rayons des pharmacies se vident parce qu’il devient impossible d’importer des médicaments. Un pays dans lequel trouver une boîte de Panadol devient compliqué, dans lequel dénicher le médicament antidiabète de sa mère et les filtres pour dialyse de son père est un job à plein temps.
Un pays qui disparaît, c’est un pays dont les habitants sont ramenés au rang de mineurs quand il s’agit pour eux d’accéder à leurs sous. C’est un pays dans lequel un SMS de la banque sonne comme une punition, avec un « privé de carte de crédit ! » en lieu et place du « privé de dessert ! ». Un pays dans lequel on coffre les habitants en séquestrant tous leurs moyens de voyager.
Un pays qui disparaît, c’est un pays que les plus malheureux sont prêts à fuir dans des barques de fortune, sous l’œil de passeurs sans foi ni loi, en risquant la vie d’un enfant.
Un pays qui disparaît est un pays où un diplôme et une carrière ont moins de poids, moins de valeur, qu’un salaire en dollars, aussi minable soit-il.
Un pays qui disparaît est un pays dont le système éducatif s’effondre, celui-là même dont il s’enorgueillissait.
Un pays qui disparaît est un pays dont trop d’habitants n’ont plus l’énergie, l’envie de se battre.
Un pays qui disparaît est un pays tenu par des élites politiques et financières fonctionnant en vase clos. Des élites qui refusent, trop accrochées qu’elles sont à des maroquins, titres et postes de papier, de laisser ne serait-ce qu’une chance à ceux qui peuvent travailler au bien commun, à l’intérêt général.
Pourtant, ils sont nombreux ces hommes et ces femmes qui, à travers le Liban mais aussi au-delà, ont la capacité de rêver, penser, concevoir, construire un nouveau monde. Tant de Libanaises et de Libanais sont prêts, malgré tout et après avoir tant perdu, à y travailler. Tant de Libanaises et de Libanais y travaillent déjà, qui en rouvrant son magasin, son restaurant, détruits le 4 août, qui en mettant ses compétences, ses sous, son temps, au service des autres.
« Nous sommes dans une situation de blocage, sans gouvernement, sans plan de relance, sans réformes, sans respect de la Constitution, sans honte, et cela doit nous obliger à trouver une brèche sans attendre les échéances étrangères », déclarait Mgr Raï lors de son homélie dominicale. Vœu tellement pieux…
Aujourd’hui, nous en sommes réduits, en notre triste Absurdistan, à implorer les électeurs de Cincinnati, Ohio, au fin fond du Midwest, de bien voter. Ce, même si l’on ne sait pas trop ce que cela veut dire, de bien voter. Même si l’on doute que désormais, un « bon vote » suffise à nous sortir de cette autoroute vers l’enfer.
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