A Seminal Verdict in Minneapolis

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Un verdict unanime de culpabilité rendu dans une cause aussi délicate en dix heures à peine de délibérations, c’est bien la preuve que les faits — et les images — ne laissaient place à aucun « doute raisonnable ». Et que l’argument « alternatif » que l’avocat du policier Derek Chauvin a tenté de soutenir quant à l’état de santé préalable de George Floyd n’a jamais vraiment eu de crédibilité aux yeux des jurés.

Trente ans après l’acquittement des policiers qui ont tabassé Rodney King à Los Angeles et sept ans après la mort du jeune Michael Brown sans que le policier qui l’a abattu à Ferguson soit inculpé, la société américaine vit à travers le jugement rendu mardi après-midi un moment de tragique et précieuse rareté. Une sorte de rédemption — fût-elle momentanée. Comme si c’était un peu, mais si peu, justice faite pour tous les Afro-Américains auxquels, par réflexe raciste et ségrégationniste, la plus élémentaire des justices a toujours été déniée. « Il y a de la lumière », a dit avec éloquence le vieux pasteur et militant Al Sharpton en réaction au verdict de meurtre. Avec la mort de George Floyd, c’est toute l’obscurité et toute l’opacité du passé qui sont remontées à la surface.

Entendu que Chauvin serait sans doute toujours policier à Minneapolis si Darnella Frazier, qui avait 17 ans au moment du drame, n’avait pas filmé ces 9 minutes 29 secondes pendant lesquelles celui-ci a écrasé du genou le cou de M. Floyd.

Entendu également que les Américains auraient sans doute réussi à enfouir le crime dans un recoin de leur conscience nationale si ce meurtre commis le 25 mai 2020 et aujourd’hui puni par la loi n’avait pas donné lieu depuis un an à cet historique mouvement de masse contre le racisme et la violence policière — mouvement marqué par un grand exercice probant de déboulonnage de la sélective mémoire blanche.

Aussi ce jugement représente-t-il dans l’histoire des États-Unis un moment indélébile de remarquable convergence sociale, judiciaire et politique, puisque, forcément, il vient se conjuguer avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, élu après quatre ans de régression trumpienne, et aux promesses de progrès social et d’équité raciale dont il est porteur. Un Biden qui a certes été élu par l’électorat centriste, mais qui doit beaucoup, pour son élection et celle des deux sénateurs géorgiens qui ont donné aux démocrates la majorité au Sénat, à la mobilisation de la minorité noire et des organisations de la société civile.

Dans les yeux de Derek Chauvin après le prononcé du verdict, un drôle de regard. Ses collègues l’ont lâché, témoignage après témoignage, au cours de ces quatre semaines de procès. En ont fait un mouton noir. Entre les quatre murs de la salle d’audience, la défense comme les procureurs se seront efforcés de ne faire le procès que de ce seul homme, sans égard au système et à la culture d’abus policiers dans lequel il s’inscrivait. Or, diaboliser Chauvin seul pour son inhumanité, c’est en fin de compte réduire l’affaire à une anecdote. C’est l’ensemble de l’institution qui mérite un procès et ce procès concerne l’ensemble de la société américaine.

Vrai que la réflexion s’est amorcée depuis un an et que des gestes ont commencé à être faits : plusieurs États se sont engagés dans des réformes de leurs services policiers. Washington a de son côté annoncé mercredi l’ouverture d’une enquête sur la police de Minneapolis, alors qu’est déjà soumis au Congrès l’étude d’un important projet de loi intitulé « George Floyd Justice in Policing Act ». Mais nombreux sont en revanche les signes de raidissement conservateur dans des États républicains qui veulent notamment renforcer les pouvoirs policiers et criminaliser les manifestations publiques. Raidissement politique aussi, alors qu’une quarantaine de législatures d’État s’emploient à restreindre l’accès au vote des minorités. Les pro-Trump n’ont évidemment pas dit leur dernier mot.

« Aussi loin qu’on se reporte en arrière, écrivait James Baldwin dans Evidence of Things Not Seen(1985), un essai sur une série de meurtres commis à Atlanta, il est clair que la revendication des Noirs n’a jamais été l’intégration […]. Ce que revendiquaient les Noirs, c’était la déségrégation, qui est une question à la fois juridique, publique et sociale : l’exigence d’être traités comme des êtres humains et non comme des bêtes de somme ou des chiens. » La vice-présidente, Kamala Harris, a fait écho à ce propos mardi soir après le verdict : « Les Américains noirs, particulièrement les hommes noirs, ont été traités à travers ce pays comme s’ils n’étaient pas des hommes. »

Derek Chauvin a traité George Floyd comme un chien. Justice a été rendue, mais justice reste encore à faire.

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