Le monopole, sommé par la loi de compenser le pillage qu’il exerce sur les journaux, répond par un bras d’honneur. Google est-il au-dessus de nos institutions ?
Que pèsent les lois de la République pour le colosse de Mountain View ? Pas grand-chose. En attestent les derniers épisodes de l’affaire dite des « droits voisins », dont nous tenons à vous faire part. Pas seulement parce que cela concerne votre journal, ou les autres journaux, et donc la liberté de la presse, mais pour ce que cela dit de l’orgueil démesuré de ce géant du numérique qui s’estime désormais ouvertement au-dessus des institutions démocratiques. Google vient de nous le démontrer, de la manière la plus claire.
Pour mieux comprendre les dessous de ce coup de force, voici un résumé des épisodes précédents. Nous vous avions raconté, chers lecteurs, à plusieurs reprises, comment Google, par sa position de monopole, et sa machine à aspirer les données (les vôtres), réalisait des profits monstrueux grâce aux articles des journaux, sans jamais payer un centime des enquêtes, des reportages, bref, du journalisme. S’interposant entre le contenu (sans lequel on irait peu sur Google !) et les internautes, il accapare presque tout le chiffre d’affaires publicitaire en amont. Notre travail, c’est leur bénéfice.
Diktat. Pour y remédier, une directive européenne sur les droits d’auteur de 2019, transposée en droit français par une loi, a institué ce que l’on appelle le « droit voisin », ou droit du producteur, qui vise à rétablir une juste rétribution des journaux pour leur travail. Google a d’abord essayé de nous imposer une rémunération égale à zéro, menaçant, si nous n’acceptions pas ce diktat, de nous déréférencer, ce qui équivaut presque à disparaître du paysage. Sommé par l’Autorité de la concurrence de négocier, il a ensuite tenté de conditionner le paiement de ce qu’il nous devait déjà à l’entrée dans son système dit « showcase », qui aurait consisté à siphonner nos revenus d’abonnement, en plus de ceux de la publicité ! Nous avons refusé. Une deuxième décision de l’Autorité de la concurrence a condamné ce procédé, soulignant « l’exceptionnelle gravité » du comportement de Google, et lui infligeant au passage une amende de 500 millions d’euros.
L’Autorité de la concurrence a imposé, dans cette même décision, au géant californien de reprendre les négociations et de formuler une offre sérieuse, sous peine d’une astreinte. Et c’est là que le mépris de la firme américaine franchit encore un palier : elle nous propose désormais – à la presse magazine, donc au Point – environ sept fois moins que ce qu’elle avait mis sur la table lors des premières discussions ! Oui, sept fois moins ! Alors que, dans le même intervalle, ses bénéfices ont plus que doublé (dans le monde, mais en France probablement aussi)… Autant dire un bras d’honneur.
Intimidation. Nous avons tous vu cela cent fois dans des westerns, ou des films de gangsters : le bandit offre à sa pauvre victime de racheter sa terre ou son commerce pour une bouchée de pain et, à la protestation de celle-ci, baisse encore son prix. Cette méthode de voyou cinématographique est donc celle de Google. Et puisque l’on en est aux références de cinéphiles, on pense à cette réplique des Sept Mercenaires, prononcée par Calvera, le chef du gang qui pille un village de cultivateurs de maïs : « Si Dieu n’avait pas voulu qu’ils soient tondus, il ne les aurait pas faits moutons. »
Dans cette entreprise de tonte numérique, tout est bon. Y compris les tentatives d’intimidation. En juillet dernier, nous avions déjà dénoncé avec force les méfaits du Léviathan de Mountain View dans ces colonnes. La punition ne s’est pas fait attendre : Google a annulé peu de temps après une campagne de publicité dans Le Point tout en la maintenant chez nos concurrents… Notre journal a été ensuite exclu d’une deuxième campagne pour YouTube (filiale de Google). Une méthode qui n’a aucune chance de nous impressionner, mais qui en dit long sur ces gens-là.
Rappelons par ailleurs que l’avocat qui menait la défense du Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) dans cette affaire a été débauché en cours de procédure par un cabinet travaillant pour… Google.
Évidemment, nous ne lâcherons rien. Quel qu’en soit le prix. En revanche, bien au-delà du destin de la presse, que signifie cette histoire pour nos institutions ?
Une directive européenne, une loi et deux décisions de l’Autorité de la concurrence ont constaté la prédation, affirmé et réaffirmé que les revenus issus du journalisme devaient être équitablement partagés. Pour rien ? Le géant californien est bien sûr fondé à défendre ses (titanesques) bénéfices, mais il se doit aussi, comme tout le monde, de respecter la loi. Or, visiblement, il s’en fiche. Mesdames et messieurs les députés et sénateurs, sachez-le, Google vous considère comme quantité négligeable. Et s’essuie les pieds sur vos lois.
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