The Attempt To Create an ‘Anti-Woke’ University in Austin

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États-Unis : à Austin, au Texas, les “anti-wokes” tentent de créer une université

Contre-attaque

Par Pauline Arrighi

Publié le 10/12/2021 à 16:39

Rigueur scientifique, pluridisciplinarité et ouverture à l’art : ce sont les mots d’ordre affichés par les créateurs de la nouvelle université d’Austin, dans l’État américain du Texas, qui a pour ambition d’offrir une alternative académique au mouvement « woke ». Mais la tâche s’avère néanmoins difficile.

« La recherche intrépide de la vérité » : c’est l’ambition affichée par la nouvelle Université d’Austin, au Texas, dont la fondation a été annoncée récemment par Bari Weiss, journaliste qui avait bruyamment démissionné du New York Times en juillet 2020, à cause des dérives du célèbre quotidien. Universitaires, journalistes et auteurs se sont rassemblés pour créer leur propre établissement, en réaction face à un monde universitaire où la rigueur de la démarche scientifique a cédé le pas au militantisme autoritaire. Elle sera présidée par Pano Kanelos, ancien président de l’université St John’s d’Annapolis, au Maryland.

L’université n’est pas encore accréditée et ses programmes sont encore en voie d’élaboration, mais la biologiste de l’évolution Heather Heying assure que l’enseignement accordera la plus grande importance à « l’apprentissage de la méthode scientifique, même dans les sciences humaines ». La scientifique travaille actuellement à la maquette pédagogique des programmes de premier cycle, qui devra être aussi pluridisciplinaire que possible. « J’encourage les étudiants à embrasser des problématiques touchant à de nombreux domaines, sans être obligés de se spécialiser dès les premières années de leur cursus. »

Rigueur scientifique, pluridisciplinarité et ouverture à l’art. Le cursus universitaire idéal, selon Heather Heying, est aux antipodes de ce que le monde universitaire américain est devenu : « une usine de justice sociale » qui ne produit aucun savoir, seulement « de la rancune et de la division », pour citer Peter Boghossian, professeur de philosophie et cofondateur également. L’université d’Austin a prévu des « Forbidden courses », littéralement les « cours interdits », qui invitent les étudiants à « une discussion animée sur les questions les plus provocantes qui amènent souvent les étudiants à l’autocensure dans de nombreuses universités ».

HARCÈLEMENT ET DÉMISSIONS FORCÉES

Les intellectuels à l’origine de ce bastion de résistance ont personnellement souffert des ravages du wokisme. Heather Heying et son conjoint Bret Weinstein, également biologiste de l’évolution, ont été menacés physiquement par leurs propres étudiants du collège de l’université Evergreen, dans l’État de Washington. L’élément déclencheur de ces torrents de rage a été une critique de Bret Weinstein vis-à-vis d’une opération contre le racisme qui consistait à empêcher l’accès au campus aux étudiants et personnel blancs.

Peter Boghossian enseignait la philosophie à Portland, dans l’Oregon. Pour que ses étudiants développent leur esprit critique, il avait l’habitude d’inviter des platistes, climatosceptiques… pour des débats contradictoires. Peter Boghossian montrait l’exemple en provoquant des discussions sur les « espaces safe », l’équivalent des réunions en non-mixité, par exemple. Il a été lui aussi obligé de démissionner après que des étudiants aient commencé à saboter ses conférences en déclenchant l’alarme incendie, puis à inscrire « Boghossian Nazi » sur les murs de l’établissement et à lui cracher dessus.

Ce harcèlement et ces démissions forcées révèlent un problème de fond dans la production d’idées et de savoir aux États-Unis. Menée auprès de 1 500 étudiants à travers le pays, une étude de la Brookings Institution, un think tank, montre que 20 % d’entre eux trouvent acceptable de recourir à la violence pour empêcher un intervenant de s’exprimer.

CROYANCES ET VALIDITÉ SCIENTIFIQUE

L’ONG Foundation for Individual Rights in Education (FIRE) reçoit de nombreux signalements provenant d’universités. Les atteintes à la liberté d’expression et d’association proviennent aussi bien des établissements prestigieux de la Ivy League que de campus plus défavorisés. Depuis 2011, la fondation dresse chaque année une liste des « dix pires universités en matière de liberté d’expression ». Parmi elles : Harvard. Pour certains, comme les fondateurs de la nouvelle université d’Austin, il s’agit de la conséquence du mouvement « woke », lequel rejetterait le concept de données observables de façon objective. Au nom du respect des minorités opprimées, ce courant de pensée rejette aussi l’idée que la recherche de la vérité doit s’appuyer sur l’usage d’une rationalité universelle. Son hypothèse de départ est que tout phénomène ou presque n’est que le produit de « rapports de pouvoir entre groupes ».

« La nouvelle génération pense que ses croyances ont une validité scientifique », regrette Peter Boghossian, qui a forgé l’image du « blanchiment d’idée ». Le concept est simple. Prenons le cas de l’obésité. Tout d’abord, des universitaires s’insurgent – à juste titre – du regard négatif de la société sur les personnes obèses. De paralogismes en raccourcis de pensée, ils se persuadent que l’obésité en tant que maladie n’est qu’une construction sociale imposée par le pouvoir médical. Puis, galvanisée par leur soif de justice, ils lancent une revue universitaire et un nouveau domaine de recherche intitulé « fat studies » sur le modèle des « gender studies » ou « women studies ». Les opinions qui y seront publiées auront toutes les apparences d’une étude scientifique et pourront faire concurrence à des études médicales.

Pour lutter contre cette dérive, les personnalités rassemblées autour de l’université d’Austin ont décidé de tout remettre à plat, jusqu’aux frais de scolarité excessifs qui transforment les étudiants en clients à satisfaire. Pour l’heure, l’établissement scolaire n’a pas encore de campus et n’est ni accrédité et ni autorisé à fonctionner comme un établissement privé d’enseignement supérieur. Le programme des « cours interdits » devrait néanmoins être diffusé dès cet été. Affaire à suivre, donc.

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