US Anti-Abortion Laws Are a Warning Shot

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Anne Sarah Bouglé-Moalic docteure en Histoire de l’Université de Caen-Normandie, revient sur la décision de l’État du Texas aux États-Unis, d’interdire l’avortement au-delà de 6 semaines de grossesse, et ce, même si le père est un violeur ou un homme incestueux.

« En France, dans les années 1960, une femme ayant choisi d’interrompre sa grossesse avait deux solutions : si elle en avait les moyens, elle pouvait se rendre dans un pays plus libéral ; sinon, elle pouvait avoir recours à un avortement illégal, dans des conditions sanitaires risquées. Bien sûr, restait toujours la possibilité d’abandonner le nouveau-né. C’est finalement sur des arguments de santé publique, plus que de liberté des femmes, que la loi autorisant en France l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été votée. Et qui, aujourd’hui, peut regretter ces alternatives atroces auxquelles ces femmes étaient confrontées ? Qui n’y verrait pas un brutal retour en arrière ?

Le Texas réussit là où l’Alabama avait échoué en 2019

C’est à cette aune que la situation des Texanes doit être considérée. Depuis quelques jours, dans cet état du sud des États-Unis, l’avortement est interdit au-delà de 6 semaines de grossesse, et ce, même si le père est un violeur ou un homme incestueux.

Chaque femme sait à quel point ces six semaines sont ridiculement courtes, qu’un retard de règles n’est pas forcément perçu immédiatement, qu’il peut avoir des causes multiples. Qu’il n’en déplaise à certains, les femmes ne sont pas obligées de consulter chaque jour leur calendrier menstruel. Et que dire des victimes d’inceste et de viol, peut-être dans le choc ou le déni de leur agression, qui devraient en plus supporter à vie le poids de leur drame ? Au Texas, le Planning familial indique que 9 femmes sur 10 qui consultent ses services sont déjà au-delà de ce délai.

Le Texas réussit là où l’Alabama avait échoué en 2019, en pouvant s’appuyer sur une décision de la Cour suprême, celle-ci ayant basculé en faveur du parti républicain l’année dernière, la même institution qui avait pourtant fait du recours à l’avortement un droit constitutionnel, en 1973 (arrêt Roe vs Wade). Les tentatives pour effacer ce droit sont en effet permanentes, dans un certain nombre d’États, qui n’ont pas hésité à interdire les IVG pendant la pandémie de Covid19, pour, soi-disant, donner la priorité aux opérations urgentes.

Le conservatisme d’une partie de la société américaine se révèle là dans toute son hypocrisie.

Les mêmes qui affirment vouloir défendre la vie à tout prix – un prix qu’ils font payer aux autres – sont ceux qui défendent la peine de mort. Dix-huit États américains sont aujourd’hui considérés comme ayant un accès extrêmement réduit à l’avortement. La carte de ces états concorde avec celle des États dans lesquels la peine de mort existe. C’est donc bien une volonté de contrôle de la vie et du corps de l’autre, un, ou plutôt une autre à qui l’on refuse d’avoir ses propres valeurs, son mode de vie, sa liberté. L’intolérance règne, ainsi qu’une inégalité fondamentale, exacerbée dans ce débat, où l’homme est déchargé de toute responsabilité.

Le viol ou l’inceste, des exceptions non recevables

Ainsi, le fait que le viol ou l’inceste ne soient pas des exceptions recevables est particulièrement frappant, d’autant plus lorsqu’on sait qu’une prime de 10 000 $ pourra être accordée à ceux qui dénonceraient des personnes ayant aidé des femmes à avorter. La même somme, promise à ceux qui dénonceraient les violeurs, ne semble pas être à l’ordre du jour.

Si la situation américaine paraît lointaine, si nous y avons peu de prise, le débat connaît encore des résurgences, en France. Des courants politiques, à travers les interventions de leurs leaders et de leurs élus, laissent entendre qu’il peut exister des avortements de confort, qu’il y aurait des « profiteuses » du système de santé, qu’il faudrait donc revoir l’accès à l’IVG. Dans le même temps, des fake news propagées par des mouvements anti-avortement et relayées avec autorité par des figures intellectuelles font croire à une dérégulation totale du droit à l’avortement, où les femmes pourraient avorter volontairement quasiment jusqu’au terme de leur grossesse. Voilà qu’on amalgame la femme qui avorte et l’infanticide. Nous ne sommes plus très loin de l’ogresse. Peut-être même de la sorcière, cette femme libre, qui pense par elle-même et peut maîtriser son corps, en dehors des desseins divins, ou plus simplement encore, de ceux d’une société patriarcale où la domination de l’homme resterait manifeste. En France, malgré tout le poids des traditions, l’héritage persistant du passé, la condition des femmes a considérablement progressé depuis les années 1970, notamment grâce à la possibilité de maîtriser sa fécondité.

Alors que les partis politiques affûtent leurs armes pour les échéances électorales de 2022, l’attention que nous pourrons collectivement porter à ces droits fondamentaux est essentielle, pour éviter d’en faire des droits mineurs, aisément remis en cause. »

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